Des élèves du Collège Cassin (Loos) à l’origine de trois reconnaissances de Justes
Joseph et Marianna, les époux Tysiak, et leur fille Marianna,
Justes parmi les Nations de Loos en Gohelle.
Photo : en 1942, les petits enfants juifs cachés par la famille Tysiak (FR3, DR).
France Israël Amitiés l’annonçait le 30 juin 2008 :
– « Suzanne Zynkowski, Thomas Escarbelt, élèves de troisième au collège René Cassin de Loos en Gohelle, assistés de Sylviane Roszak, professeur d’histoire, Florence Chaumorcel, bibliothécaire, et leur amie Jacqueline Lucas ont travaillé sur les histoires liées à la Déportation et à la Résistance. Après avoir lu un article dans la revue Gauheria, l’équipe n’a eu de cesse que de retrouver Marianna Sloma, la fille des époux Tysiak, dix-neuf ans au moment des faits. Même si la maison, où elle habite toujours a été reconstruite depuis, il s’en est passé route de Béthune à Loos-en-Gohelle de 1942 à 1945 !
Au moment où les mesures antisémites se précisaient dans la région et notamment la rafle de Lens du 11 septmebre 1942, Joseph Tysiak, mineur de fond, et sa femme Marianna ont hébergé des enfants juifs.
D’abord Abel Kestenberg et Hélène Grunfas.
Puis Marie et Norbert Cymbalista dont le père, tailleur à Lens, voulait les sauver de la déportation en Allemagne. Âgés respectivement de sept ans et trois ans en 1942, ils allaient avoir la vie sauve grâce à ce couple catholique, membre du réseau polonais de la Résistance.
Marie, qui prendra le prénom de Myriam, et Norbert, ne reverrons jamais leurs parents et ils resteront à Loos-en-Gohelle jusqu’en 1950 avant d’être pris en charge par la communauté juive de Lens. Partis à Paris, ils rejoindront Israël où ils vivent aujourd’hui, dans des kibboutz de la région de Jerusalem. Mais le plus intéressant fut de savoir que Myriam et Norbert étaient toujours en contact avec Marianna. Mieux : ils lui ont rendu visite, elle en 2000 et son frère l’an dernier.
L’histoire ne pouvait en rester là. Lors de sa visite, Myriam, encore traumatisée, recherchait le jardin où la famille Tysiak cachait des explosifs dans les poireaux et surtout la porcherie où elle se dissimulait avec Norbert durant la guerre. Quand la Gestapo débarquait suite à une dénonciation, prévenus par le grincement du portail ils filaient là-haut, au-dessus des cochons, tremblant de peur… Le groupe du collège Cassin a été sensibilisé par cet héroïsme et cette humilité. Myriam et Norbert ont lancé une demande de reconnaissance. »
Ce 22 février, les médailles et diplômes de Justes parmi les Nations ont été remis à la famille Tysiak suite aux efforts conjugués des jeunes et des pédagogues du Collège Cassin mais aussi des Myriam et de Norbert Cymbalista, deux enfants qui leur doivent la vie.
Cette cérémonie s’est déroulée à Loos en Gohelle, salle Omer Caro. En voici quelques échos.
Photo : Marianna Sloma-Tysiak, Juste parmi les Nations (Eric Janiszewski, La Voix du Nord, DR).
Marianna Sloma-Tysiak :
– « Je n’ai rien fait de sensationnel, c’est à mes parents qu’il faut rendre hommage… Et ils n’ont pas fait ça pour les honneurs, mais parce que cela leur semblait naturel. »
Peleg Levy, conseiller auprès de l’ambassade d’Israël à Paris :
– « Alors qu’ils auraient pu fermer les yeux pendant cette période sombre de l’Histoire, ces héros ordinaires ont choisi de sauver des juifs. Les Justes considèrent ce qu’ils ont fait comme étant naturel. Mais en le faisant, ils ont sauvé l’honneur de la France (…).
La médaille de Juste, la plus haute distinction de mon pays, n’est pas une récompense mais un témoignage de gratitude. »
Marianna Sloma-Tysiak a reçu également la Légion d’honneur des mains de Marcel Caron, maire honoraire de Loos en Gohelle.
La Voix du Nord :
– « 12 h 30 : l’entrée dans la salle Omer-Caron. Marianna fait son apparition dans la salle des fêtes. Les vibrantes acclamations de cinq cents personnes l’escortent jusqu’au podium. L’harmonie ouvre la cérémonie. La chorale joue avec les émotions de l’assistance en interprétant Nuit et brouillard. Maire, sous-préfet… Les personnalités se succèdent à la tribune pour parler de l’ « engagement hors du commun » des Tysiak. Deux anciens collégiens de Cassin retracent le cadre de cette histoire à partir de témoignages.
(E. W., 23 février 2009).
Professeur émérite à l’Université de Lille 3, auteur notamment de travaux et de recherches sur les « Camps pour Juifs » du Nord, Danielle Delmaire a accepté de proposer son regard d’historienne sur cette cérémonie :
– « Lors de la préparation du concours national de la déportation de 2008, dont le thème était les Justes en France, des élèves de troisième du collège René Cassin à Loos-en-Gohelle ont découvert que, dans leur ville, deux enfants juifs, Marie et Norbert Cymbalista, avaient été cachés par des résistants d’origine polonaise : Joseph et Marianna Tysiak.
Aidés de leur professeur d’histoire, Sylviane Roszak, ils sont parvenus à interroger Marianne Sloma-Tysiak, la fille de Joseph et de Marianna, ainsi que sa jeune sœur qui, à quatorze ans, acheminait des courriers, auprès de la résistance locale, en les cachant dans ses tresses. Ils ont également retrouvé les enfants sauvés qui désormais vivent en Israël. Ainsi est née, grâce à la démarche de ces collégiens, l’idée d’obtenir la médaille des Justes pour Joseph et Marianna Tysiak et leur fille Marianna Sloma-Tysiak.
Lors de la cérémonie, un dossier fut distribué, rappelant l’histoire de ce courageux sauvetage. Joseph était mineur et sa femme Marianna était nourrice. Dès les premiers jours de l’occupation, en 1940, ils organisèrent, avec d’autres mineurs d’origine polonaise, un mouvement de résistance. En 1942, la situation des Cymbalista, juifs et eux aussi originaires de Pologne, devint difficile dans la ville de Lens où ils vivaient. Ils placèrent donc leurs enfants chez les Tysiak. Puis ils furent arrêtés lors de la rafle du 11 septembre 1942, déportés à Auschwitz dont ils ne revinrent pas. Les Tysiak décidèrent alors de cacher les enfants Cymbalista, d’autant plus que les Allemands, peu avant la rafle, étaient venus chercher un autre enfant juif que le couple hébergeait. Sa mère avait accepté de dire aux Allemands où se trouvait son enfant et de les accompagner pour le récupérer. Elle pensait ainsi le garder avec elle, dans la déportation.
Dès lors, durant la journée, Marie et Norbert, âgés de 7 et 4 ans, ne sortaient pas de la maison et dès que le portail d’entrée de la fermette des Tysiak grinçait – il n’était pas repeint pour qu’il grince si on l’ouvrait – les enfants devaient se réfugier dans la porcherie où ils se dissimulaient dans les ballots de pailles et où les cochons leur faisaient terriblement peur. Les enfants Cylmbalista ont donc vécu jusqu’à la fin de la guerre dans ces conditions précaires et dangereuses, pour eux-mêmes et pour leurs sauveteurs qui, en outre, continuaient leurs activités résistantes. Marie Cymbalista, devenue Myriam Troper, a redit, lors de la cérémonie, sa peur quotidienne et son angoisse dès que le portail grinçait, dès que le chien aboyait. Cette peur et cette incertitude, les enfants les ont vécues pendant plus de deux longues années.
Un jour de 1944, les Allemands ont débarqué à la ferme des Tysiak, sans que les enfants aient le temps de se réfugier dans la porcherie. Ils se cachèrent sous un lit. En fait, ils avaient été dénoncés par un collaborateur. Les Allemands recherchaient donc les enfants juifs mais Marianna Tysiak, qui avait séjourné en Allemagne avant son arrivée en France, connaissait l’allemand et entama la conversation avec eux pour leur expliquer que les enfants avaient quitté leur domicile depuis longtemps. Elle bavarda futilement avec ses visiteurs et évoqua leur Allemagne. Ils en oublièrent de fouiller complètement la maison. Les enfants furent sauvés grâce au sang-froid de leur protectrice. « Moi, pendant ce temps, je n’arrêtais pas de trembler, cachée sous le lit », confia Myriam Troper-Cymbalista. Désormais, les enfants ne quittèrent plus la porcherie sauf pour dormir ! Cette peur les habita longtemps et même après la libération, ils ne parvenaient pas à la surmonter.
Marie et Norbert ne retrouvèrent pas leurs parents à la fin de la guerre. Marie espéra longtemps mais vainement leur retour de déportation. Avec son petit frère, elle resta chez les Tysiak jusqu’en 1950. Puis ils furent pris en charge par l’OSE (Organisation de Secours aux Enfants, organisme juif) qui les recueillit dans l’un de ses homes pour les orphelins de la déportation. Peu de temps après, ils émigrèrent en Israël où ils vivent toujours.
Lors de la cérémonie, émouvante car Marie (Myriam) et Norbert se trouvaient aux côtés de Marianna Sloma- Tysiak avec laquelle ils sont toujours en relation, deux collégiens de l’établissement René Cassin, qui avaient participé au concours, étaient présents pour rappeler l’histoire des enfants Cymbalista. Le maire de Loos-en-Gohelle, J-F Caron, le représentant de Yad Vashem, Didier Cerf et la sous-préfète de Lens, Mme Petonnet, prirent tour à tour la parole avant la remise du diplôme et de la médaille des Justes par M. Peleg Lévy, conseiller auprès de l’ambassade d’Israël. L’hymne israélien retentit dans la salle avant les remerciements chaleureux de Myriam Troper-Cymbalista. Puis Marianna Sloma-Tysiak reçut la légion d’honneur des mains de Marcel Caron, maire honoraire de Loos-en-Gohelle. »
(s) Danielle Delmaire.
Que le Professeur Delmaire trouve ici l’expression de notre gratitude pour son précieux apport à cette page.
Article lié au Dossier 11359