Maurice Winnykamen, enfant caché
Maurice Winnykalen,
Hommage. Récit d’un enfant caché,
Editions des Ecrivains, 2001, 145 p.
Au fil des pages,
les Pegaz, Justes
au Montcel (Savoie)
et leur petit Boris-Marcel…
4e de couverture (extrait) :
– « Boris se souvient. Sa vie en dépendait. Il avait huit ans.
En ce temps-là, il s’appelait Marcel. Il était Montcellois. Un petit Savoyard entre Aix-les-Bains et le Revard. Il avait une nouvelle famille – les Pegaz – et des amis de son âge – Albert et Berthe – qui, comme lui, vivaient cachés. Il y avait, aussi, un instituteur, une institutrice, un curé et la pauvre vieille Céline. Il était heureux.
Pourtant, en bas, dans la ville que sa mère et son père, Résistants, lui avaient fait quitter, c’était l’enfer de la « zone libre » avec son « Statut des Juifs ». Et tout alentour, il y avait le maquis.
Un petit matin, des hommes vêtus de noir et la tête couverte d’un chapeau à large bord, entraînèrent Albert et sa famille d’accueil dans leurs autos, portant sur l’aile, un fanion marqué de la croix gammée. Albert est parti vers un lieu dont on ne revient pas.
Depuis, Marcel, redevenu Boris après la libération, se sent coupable :
« Lui et moi étions des enfants cachés. Nous avions le même âge. Moi, je ne me savais pas Juif, je voulais devenir curé, c’est lui qui m’a appris que nous étions Juifs tous les deux. »
Et vient la question qui me taraude :
« Pourquoi lui et pas moi, de quoi suis-je fautif ? »
Le Montcel :
– « Le Montcel, c’est le village des Pegaz. Il est, dorénavant, le sien, également. Son nouveau nom, c’est Pegaz. Marcel Pegaz.
Quel crime ai-je commis, pour vivre hors la loi entre huit et douze ans ? Mon crime a été de naître Juif. Moi-même je l’ignorais mais les bourreaux, eux, le savaient depuis toujours (…).
Marcel aime aussitôt le Montcel, il y trouve une autre maman : Lili, un autre papa : Raymond, une autre mémé qu’il n’appellera jamais autrement que Mémé, une grande soeur, Renée que la famille appelle Nénette. »
(P. 14).
– « C’est grâce aux pommes de terre, au blé, au foin, aux légumes et aux fruits, que Marcel a appris que tout ce qui pousse demande un effort. Que la nature ne donne rien pour rien et que, si cela parait arriver, parfois, ce n’est q’une illusion :
« Quand la nature nous donne c’t’illusion, dit Lili, c’est juste pour nous donner l’goût d’elle-même, pas. Ainsi d’la noisette et d’la fraise des bois. D’la myrtille et d’la mûre. Ainsi d’la plus belle des fleurs qui pousse s’l’fumier. Et quand la nature nous a donné, une fois, rin qu’une seule, envie d’elle-même, nous la sauvergardons. Non, la nature n’donne rin pour rin, mais tout ce qu’elle donne est récompense, pas ! »
(P. 19).
Maurice et Renée Pegaz, reconnue depuis Juste parmi les Nations (Arch. fam. M. Winnykamen / BCFYV / Droits Réservés).
Baptisé ?!?
– Marce ne sait trop ce qu’ils disent Monsieur le Curé et sa grande dame brune de mère, quand ils sont assis à la table des Pegaz. Le prêtre voudrait qu’elle lui procure un acte de baptême. C’est évidemment impossible. Il en tremble. Monsieur le curé l’a si souvent interrogé à ce propos :
– « Dis-moi mon petit, tu as bien été baptisé, n’est-ce pas ?
– Oh ! oui, mon Père.
– Sais-tu où tu as été baptisé ?
– Je ne sais pas , mon Père.
– Mais tu es sûr que tu as été baptisé, au moins ?
– Oh ! oui, mon Père.
– Et tu ne sais vraiment pas où ? En quelle église ? Dans quelle ville ?
– Non, mon Père. Je ne me souviens plus.
– Où étais-tu avant de venir chez ta tante Pegaz ? (…) Et pourquoi es-tu venu au Montcel ?
– Je suis malade.
– Alors, il faut que l’en parle à Monseigneur l’évêque. Tu n’es pas juif, au moins ?
– Oh ! mon Père, bien sûr que non ! »
(PP 57-58).
Son ami Albert :
– « C’est à l’aube d’un joli matin (…) que, dans leurs tractions noires, les hommes de la Gestapo vinrent le chercher. Un enfant de dix ans, Albert et avec lui sa famille adoptante. Ils déculottèrent Albert et constatèrent sa circoncision… Les Massonat d’en haut manquent à l’appel (…).
Albert, mon ami ! Que serais-tu devenu ? Peintre comme Modigliani ou Chagall, écrivain comme Péguy ou Spire, poète comme Peretz, Rosenfeld, Steinbarg, Eichenrand, Aleikhem, Bialik, Lutzki, Rontch, Manguer, Spiegel, Reisen, Rabon, Sutzkever, Verguelis, Gebirtig, Glik ou Dobdzynski, cinéaste comme Eisenstein, Chaplin, Linder, les frères Marx ou Woody Allen, savant comme Einstein, Copernic, Charpak ou Sakarov, médecin comme Freud ou Bettelheim, musicien comme Menuhin, Rubinstein, Heifetz, Bernstein, Bruch, Gershwin, Horowitz, Malher ou Mendelsshon, penseur comme Marx, Hertzl, Lewin ou Levi-Strauss, politicien comme Blum ou Trotsky, militaire comme le capitaine Dreyfus ou le général Koenig, meneur de peuple comme Moïse ou Ben Gourion, faiseur de paix comme Rabin et Perez, banquier comme Rothschild, tailleur comme ton père, maroquinier comme le « lieutenant Julien », le mien ? »
(PP. 62-63).
Signature de Maurice Winnykamen (Arch. JEA / DR).
Les parents de l’enfant caché sont donc juifs, résistants et communistes… Leur fils, descendu du Montcel, se trouve à Lyon, leur ville de clandestinité, quand il est confronté au danger.
On frappe à la porte :
– « Voilà que se trouvant seul dans l’appartement, on frappe à la porte. Il ouvre, et se trouve nez à nez avec le releveur du gaz :
« Bonjour gone (garçon). Comment t’appelles-tu ?
– Bronzin, Monsieur. Marcel Bronzin.
– Quel âge as-tu ?
– J’ai dix ans et demi, Monsieur. »
Le type cherche dans ses papiers, et dit :
« Bronzin, hein ! Je ne trouve pas de Bronzin dans mes fiches. Tu es certain de ne pas t’appeler autrement ? (…) Parce que, si tu as un autre nom, tu peux me le dire, à moi. Ce sera un secret entre nous deux…
– Mais, Monsieur, je m’appel…
– Tu es un grand garçon, allons ! Fais un petit effort, comment t’appelles-du ? (…) Tu as bien deux noms, n’est-ce pas ? Ecoute, tout le monde a deux noms. Moi aussi, j’ai deux noms. Alors, quel est ton deuxième nom ?
– Non, Monsieur, j’ai point deux noms. Je m’appelle Bronzin et pas autrement.
– Bon ! Tu es un brave garçon. Mais dis-moi ton nom d’avant ? C’était comment ?
– Mon nom d’avant ? Je n’ai jamais eu d’autre nom., Monsieur. Et puis vous commencez à m’embêter. Je m’appelle Bronzin. Un point c’est tout. Et comme le dit Monsieur le Curé : cherchez et vous trouverez ».
(…)
On m’a dit depuis que j’avais rencontré un agent de la Gestapo (…). Je sais maintenant, que rien ne permet de distinguer un malfaisant et que les agents de la Gestapo peuvent avoir l’air de n’importe quel honnête homme. Même d’un releveur de gaz.
(…)
L’alerte a été chaude. Très vite, mes parents me font réintégrer le Montcel. Je retrouve, avec une joie non dissimulée, ma famille Pegaz. »
(PP. 72-73).
Amélie Pegaz, Juste parmi les Nations (Arch. fam. M. Winnykamen / BCFYV / DR).
Survivants :
– « Comment le dire ? Mon enfance fut heureuse, merveilleuse, même. Elle se déroula, pourtant, dans un monde programmé pour aller au-delà du meutre, au-dela de l’exécution de masse. Dans un monde super organisé. Une société méthodique, intelligente, dans laquelle chaque acte, même le plus anodin, participait du malheur absolu. Ces actes étaient ceux d’hommes et de femmes qui nous ressemblaient. Des humains aussi. Consciemment ou non, du plus petit gardien d’immeuble au cadre supérieur du « parti national socialiste », en Allemagne comme dans les pays conquis, ils oeuvraient pour le crime. Pour le collectif de souffrances et de mort.
Je suis passé, grâce à la résistance, grâce aux Savoyards, au travers du filet. Mais ce n’est pas parce qu’il y eut des survivants que le crime n’exista pas. Qu’il y eut des survivants n’était pas dans les intentions des criminels ! (…) Et personne ne peut nier que le crime ait eu lieu. »
(P. 123).
– Embrasse papa :
– « Une traction avant noire, avec l’inscription « F.T.P. » peinte en blanc sur les portes et un drapeau tricolore fiché en haut du gazogène, quitte la route et s’arrête devant la porte de la ferme. Marcel et Nénette l’avaient vue arriver de loin par la fenêtre de la cuisine. Tous, Raymond, Lile, Mémé et eux, attendaient, étonnés, sur le seuil. Plusieurs hommes, jeunes, mal rasés, assez joyeux mais attentifs au moindre bruit, l’oeil aux aguets, l’arme à la bretelle, mettent pied à terre. L’un d’eux appuie sa mitraillette contre l’aile du véhicule et prend Marcel dans ses bras. Il le lève au ciel et le fixe un bon moment. Puis il lui dit : « Boris, je suis ton père, tu te souviens ? Embrasse papa. »
Lui, il couvre son fils de baisers. Gauchement, Marcel se débat.
(…)
Les autres pressent leur chef :
« Laisse, Jilien ! Il est encore qué ounè kind. Il faut lé comprondre. Plis tard, til’ verras ça s’arrongera sirement. »
(…)
Ces métèques, qui composent l’un des groupes lyonnais de la M.O.I., ont poursuivi le combat, avec, au coeur, encore plus de rage, encore un peu plus de certitude. Parce que, eux, contrairement à leurs frères qui tiennent les barricades, en ville, ils ont vu un gamin juif survivant. »
(PP. 125-127).
Hommage :
– « Valeureux parmi les braves, vous fûtes l’honneur de mon pays. Vous, les oubliés, les « sans médaille », les simples, vous, à qui je dois d’être encore vivant et par qui ce témoignage peut, aujourd’hui, près de soixante ans après, voir le jour, il me vient pour vous un seul mot : HOMMAGE. Hommage aux Justes ! »
(P. 131).
Amélie Pegaz, Raymond, Marie-Thérèse et Renée ont été reconnus Justes parmi les Nations.
Amélie Pegaz : rencontre avec Maurice Winnykamen et ses petits-enfants (Arch. fam. M. Winnykamen / BCFYV / DR).
Article lié au Dossier 9401