Message de Gisèle Prévost, Juste parmi les Nations
Gisèle Prévost :
« Peut-on ne pas se poser la question : à quoi servirait le devoir de mémoire si, aujourd’hui, il ne nous mobilisait pas contre toutes les formes d’exclusion qui sont là, sous nos yeux ? »
Reconnue Juste parmi les Nations et honorée lors de la cérémonie du 12 novembre dernier à l’Hôtel de Ville de Paris lire page 83), Gisèle Prévost a délivré un message nullement passéiste. Que du contraire ! Que le passé, aussi tragique ait-il été, éclaire les consciences pour faire face aux injustices contemporaines.
Gisèle Prévost :
– « Les Justes.
D’abord, merci à Yad Vashem qui a organisé cette journée de reconnaissance. Merci à la famille Gecils qui l’a demandée pour nous.
Dites-vous bien que notre récompense, s’il en était besoin, c’est de vous voir devant nous, ici présents, bien vivants, et de savoir vos parents s’être éteints en paix, chez eux, en France, après la tourmente. Bien des Justes, célébrés ici ou absents, ont contribué au sauvetage de la famille Gecils : – D’abord les parents Gecils eux-mêmes.
– Leur père qui, leur appartement mis sous scellés, n’a jamais cessé d’aller chaque jour au travail avec une carte d’identité savamment maquillée pour franchir les barrages de police.
– Leur mère qui a placé en nourrice les deux enfants de 8 mois et deux ans, en grande banlieue, pour les mettre à l’abri. Nous allions de temps en temps les visiter, sans pouvoir les guérir de leur détresse lorsque nous repartions.
– L’employeur de M. Gecils, M. Delage, l’a gardé pendant toute la guerre dans son entreprise. C’est lui qui l’a confié à Jacques Prévost, son ami en résistance, mon époux. C’est dire le rôle actif de la Résistance dans le sauvetage des Juifs, au quotidien et à grande échelle.
– C’est la famille Dupâquier-Maugé qui a pris la relève quand la police vichyste est venue perquisitionner chez nous, et qui a caché les enfants jusqu’à la fin de la guerre.
Mais ce qu’il faut surtout retenir en ce jour, c’est qu’on ne peut, qu’on ne doit pas se contenter de se glorifier d’un passé solidaire. S’il est un devoir de mémoire de rappeler les crimes de l’Allemagne nazie, le génocide programmé de tout un peuple, de rappeler le courage de ceux qui ont résisté au péril de leur vie, peut-on s’en tenir là ? Peut-on ne pas se poser la question : à quoi servirait le devoir de mémoire si, aujourd’hui, il ne nous mobilisait pas contre toutes les formes d’exclusion qui sont là, sous nos yeux ?
C’est à vous, nos arrière petits-enfants ici présents, que je parle, regardez autour de vous : – L’antisémitisme est toujours là.
– Le racisme est partout.
– L’exclusion de Roms et autres minorités ethniques de langue et de culture surgit ici et là.
– Les immigrés de la misère sont traités sans humanité et l’on ouvre pour eux des camps de rétention indignes, comme s’il n’y avait pas d’autres solutions pour réguler les flux migratoires.
– Ghettos et bidonvilles concentrent les plus démunis dans les grandes villes du monde entier.
– Des peuples interdits d’État croupissent dans des camps fermés, tels les Palestiniens.
– Les guerres immondes continuent d’ensanglanter la terre.
– Enfin, des millions d’enfants innocents meurent de faim, de misère, aussi nombreux que les victimes des camps de concentration dans la guerre de 1940-45. Pour ceux-là, c’est l’exclusion absolue : ils n’ont accès ni au pain, ni au savoir, ni au pouvoir. Alors demandons nous : qu’est-ce que « être un Juste » aujourd’hui, sinon se dresser contre l’injustice, s’engager au côté des victimes, modestement, dans le quotidien, à l’école, dans la rue, au travail, militer pour construire un monde meilleur ? Quelle tache immense vous attend, vous qui serez les Justes de votre temps, les Justes d’aujourd’hui ! Je vous espère et je vous salue. »
Article lié au Dossier 11279