Une Juste française honorée à Jérusalem
Après son fils Jules
et sa belle-fille Jeanne,
Louise Roger est reconnue
Juste parmi les Nations
Alexis Bodart :– « Au centre de l’affaire, se trouve un homme qui lui doit tout et qui a changé trois fois de nom. Au départ, il s’appelle Herbert Odenheimer. Né en 1934, dans le pays de Bade, en Allemagne, il est incarcéré avec sa famille au camp de Gurs, dans les Pyrénées Atlantiques. Sa grand-mère, Sophie, y mourra. Ses parents seront assassinés à Auschwitz en 1942.
L’année d’avant, le petit Herbert a pu être soustrait du camp et placé dans des maisons d’enfants. Herbert, devenu Hubert Odet, soi-disant né en Alsace, va de cachette en cachette et finit par arriver à Buzançais, chez Jules et Jeanne Roger, très impliqués dans la Résistance. Le couple hébergeant un autre enfant juif, Léopold Lazare, le risque était devenu trop grand. En 1943, Jules confie Hubert à sa mère, Louise, qui habite à Argy. Le gosse travaille à la ferme et devient enfant de chœur ! Seul le curé du village est au courant de ses origines.
A la Libération, Hubert, est adopté par des parents lointains et part en Suisse. Il part en Israël en 1958. Aujourd’hui retraité, il a travaillé au Musée national d’Israël comme historien de l’art. Joint au téléphone à Jérusalem, celui qui a maintenant pour nom Ehud Loeb et pour âge 75 ans, nous a confié :
« Jeanne et Jules Roger ont été déclarés Justes en 1989 et je tenais à ce que Louise le soit aussi. J’ai donc monté un dossier. Les souvenirs d’Argy sont pour moi imprégnés d’un sentiment de danger quotidien et du courage de cette femme, sévère mais au cœur d’or, qui a pris d’énormes risques pour me soustraire aux forces d’occupation».
Louise, née en 1877, est décédée en 1947, et Jeanne et Jules ne sont également plus de ce monde. C’est donc leurs descendants, Robert Roger, demeurant à Malesherbes, et Marie-Thérèse Roger domiciliée à Foix, qui recevront la médaille le 27 octobre à Jérusalem. »
(La Nouvelle République, 22 octobre 2009).Lettre du CRIF :– « Louise Roger, une Française de la région de l’Indre a reçu, à titre posthume, la médaille de «Juste parmi les Nations», lors d’une cérémonie qui s’est tenue mardi 27 octobre 2009 au mémorial de Yad Vachem à Jérusalem, pour avoir caché pendant trois ans (1) le petit Herbert Odenheimer, six ans, un juif allemand dont les parents avaient été déportés de France en 1942.
La cérémonie a eu lieu en présence de l’ambassadeur de France en Israël, Christophe Bigot qui dans son discours, a rendu hommage à :
«ces Justes, héros du peuple juif et de la République française». «Il faut continuer de chercher d’autres Justes et rendre hommage à ces gens qui ont su résister à la barbarie nazie», a-t-il ajouté. »
(28 octobre 2009).
Le petit Herbert Odenheimer dans les bras de son père, à Buehl (Allemagne). Image paisible avant l’exil vers la France, les arrestations et les déportations (Arch. Yad Vashem / DR).
Synthèse du dossier décrivant comment fut épargné Herbert Odenheimer :
– « Le jeune Herbert est né en 1934, dernier enfant juif de la communauté de Buehl.
La famille Odenheimer : la grandmère Sophie, les parents Hugo et Julchen Odenheimer, et leur petit Herbert, âgé de six ans et demi, furent déportés le 22 octobre 1940 du pays de Bade (Allemagne) au camp de Gurs.
En février 1941, l’OSE, organisation de sauvetage des enfants Juifs, parvient à faire sortir Herbert et d’autres enfants Juifs du camp. Ils sont placés dans diverses institutions au centre de la France, dont celui de Chabannes.
Au début du mois de septembre 1942, il est transféré d’une institution à l’autre avant d’être confié à une famille qui, hélas, va profiter de la situation pour le maltraiter. Vers la fin 1942, L’assistante sociale chargée de sa protection se rendit compte de la mise en danger du garçon. Elle décida immédiatement de retirer Herbert de chez ses hôtes indignes pour le confier à Jules et à Jeanne Roger. A Buzançais. Lui était boucher et elle arrondissait les fins de mois en repassant pour des villageois. Leur fils avait dix ans au début de la guerre.
La maison des Roger était mise à la disposition de la Résistance : stocks d’armes, faux papiers et hébergement de clandestins…
Une année s’écoule. Jules Roger craint une dénonciation visant l’enfant et l’envoie chez sa mère, dans un village tout proche, Argy. Là, il reçut à l’automne 1943 la fausse identité d' »Hubert Odet ». Le garçon restera en complète sécurité avant de revenir à Buzançais.
Herbert voulut devenir catholique, pour faire « comme tout le monde », mais Jules et Jeanne lui expliquèrent qu’il devait être fier de ses origines.
Aucun des siens ne revint des camps de la mort. Sa mère fut déportée le 4 septembre 1942 et son père trois jours plus tard.
En Janvier 1946, un parent, Fritz Loeb, vivant à Berne, en Suisse, viendra chercher Herbert pour l’adopter. L’orphelin dût réapprendre l’allemand. Puis il émigra en Israël et prit le nom de Ehud Lev. »
Allocution d’Ehud Loeb :
– « Je connus chez la grand’mère la vie paisible mais rudede la campagne et le travail combien récompensant avec les bêtes. C’est chez cette femme simple, de caractère sérieux, presque inabordable mais avec un cœur d’or, que j’avais trouvé refuge, que je me sentais à l’abri de dénonciations et d’arrestation. Cette vieille femme qui m’a protégédes menaces de la déportation, du sort qui avait frappémes parents, ma famille, mes coreligionnaires. Louise Roger a sauvé ma vie en bravantdes dangers imminents – les Allemands et les miliciens étaient aux alentours.
Durant les ténèbres de cette période affreuse qui fut le temps de la Shoah et l’assassinat de six millions de Juifs, dont un million et demi d’enfants, ce sont très souvent des gens simples qui ont osé dire non, non à la déshumanisation de l’autre, non à la barbarie. Ces personnes étaient de vrais résistants – leurs armes n’étaient ni la mitraillette ni la grenade, mais l’arme invincible de la conscience et de la compassion. Ces personnes ont sauvé d’innombrables vies d’êtres innocents, persécutés : elles ont déjoué les machinations d’uneidéologie satanique qui avait su imprégner de haine des hommes faibles de cœur et dépourvus de valeurs morales, et qui les a conduits à commettre des crimes indicibles. En ces années noiresil y eut – peut-être trop peu – des braves, des hommes et des femmes de conscience. Nous leur témoignons notre reconnaissance.
Article lié au Dossier 4160