Dossier n°9921 - Juste(s)

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Les personnes reconnues « Justes parmi les Nations » reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Il s’agit de la plus haute distinction civile de l’état d’Israël. Au 1er janvier 2021, le titre avait été décerné à 27921 personnes à travers le monde, dont 4150 en France. Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. En effet, tous ont considéré n'avoir rien fait d'autre que leur devoir d'homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations.

Allée des Justes à Paris
Allée des Justes à Jérusalem

Les Justes

Esther Muller Balmer

Année de nomination : 2003
Date de naissance : 03/11/1920
Date de décès : 29/09/2015
Profession : Infirmière

Roger Muller

Année de nomination : 2003
Date de naissance : 24/04/1920
Date de décès : 15/05/2009
Profession : Pasteur
    Localisation Ville : Lédignan (30350)
    Département : Gard
    Région : Occitanie

    L'histoire

    Roger & Esther Muller

    Roger Muller, pasteur de la communauté protestante de Lédignan (Gard), y résidait avec sa femme Esther. En 1943, elle était enceinte de leur premier enfant. Le couple entretenait des relations amicales avec le pasteur Peloux* et sa femme Marie, résidents de Saint-Jean-du-Gard. En novembre 1943, les Muller offrirent le gîte à une fugitive juive poursuivie par la police, Annette Lévita. Elle et son mari habitaient Nîmes et avaient réussi à envoyer leurs deux enfants en Algérie en 1942. Un matin de novembre 1943, la police allemande se présenta à leur domicile pour les arrêter. Comprenant le danger, son mari l’entraîna dans une tentative de fuite mais les policiers tirèrent sur lui. Blessé au genou, il fut secouru par des voisins qui alertèrent un médecin, le Dr. Fayot. Celui-ci fit hospitaliser son mari dans une clinique et confia Annette au pasteur Muller et sa femme. Comme une unité de l’armée allemande stationnait dans les locaux attenants au presbytère où ils habitaient, ils cherchèrent un abri plus sûr pour leur hôte. Ils s’adressèrent à leurs amis, les Peloux, qui prirent leur relais et installèrent Annette chez eux à Saint-Jean-du-Gard. Son mari réussit entre temps à s’évader de la clinique où il était gardé et vint rejoindre Annette chez les Peloux. Ils y restèrent cachés pendant six mois jusqu’à la Libération, hébergés à titre gracieux dans leur modeste demeure. Ils survécurent aux persécutions grâce au courage et à la générosité de leurs sauveurs et leur vouèrent une reconnaissance infinie.

    Le 3 février 2003, Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah, a décerné à Esther et Roger Muller, le titre de Juste parmi les Nations.

    Le témoignage

    La famille LEVITA, Max et Annette et leurs deux enfants, vivent à Nîmes avant la guerre. En novembre 42, les enfants sont envoyés en Algérie. En novembre 43, après s’être cachés chez différentes personnes, les LEVITA, à la suite d’une dénonciation, sont pourchassés par les Allemands, qui blessent le mari au cours d’une poursuite. Un médecin protestant l’hospitalise dans la maison de santé protestante de Nîmes.

    Quant à Annette, le docteur l’envoie chez le pasteur de Lédignan, Roger MULLER. Elle y restera 15 jours, mettant en péril la vie du pasteur et de sa femme, enceinte, car une compagnie allemande stationnait à côté du presbytère. Après ces 15 jours, c’est le pasteur qui lui a trouvé un autre point de chute.

    En 1942, quand la guerre a commencé vraiment j’ai envoyé mes 2enfants en Algérie parce qu’il y avait ma mère qui était à Tlemcen en Algérie et ma sœur au Maroc,  et à ce moment là on était plus libre de nos mouvements. Alors il y a un voisin qui nous dit « ne dormez pas chez vous ce soir, il y a une rafle ». Alors on a trouvé quelqu’un qui nous a hébergés et puis on est restés quelque temps. Un jour je revenais pour que mon mari se rase, c’était des protestants, je vois ma belle-mère qui revient sur ses pas et qui me dit « allez, remonte la Gestapo est venue ». Alors on est remontés mais on ne pouvait pas rester chez ces gens on est allés ailleurs, on nous avait indiqué un couple qui pouvait nous recevoir. Nous y sommes allés mais là quelqu’un nous a vendus et on a été pris par la Gestapo parce que ces gens recevaient beaucoup d’alsaciens et il y avait deux jeunes gens et je crois qu’ils ont fait cela pour de l’argent. Tout d’un coup, mon mari était en train de faire des écritures pour avoir de la nourriture à l’époque et on entend des chiens aboyer et mon mari dit, « ça y est c’est la Gestapo ». Il a voulu sauter un mur et ils lui ont tiré dessus, ils ont tiré sur sa jambe. Le lendemain on est allés lui faire sa radio et de là je l’ai mis dans une maison de santé à Nîmes et moi je suis allé chez un viticulteur que nous connaissions à Egremont et il nous a emmenés chez le pasteur Muller et je suis restée chez le pasteur Muller 8 jours. Et puis en bas de chez les Muller il y avait les allemands. Alors un jour mon mari a mis son manteau et son pantalon sur son pyjama et puis un camion est venu le chercher pour aller à St Jean du Gard, où une famille protestante l’a reçu pour un soir le lendemain une autre voiture est venue pour l’amener chez une veuve qui l’a très bien reçu il est resté quelques jours chez elle et qui le faisait manger très bien, alors il lui disait « vous vous privez pour moi » et elle disait non « on m’apporte de la nourriture ».

    Dans votre souvenir comment étaient les Muller physiquement ?

    Ah, très, très bien. D’abord ils étaient très jeunes. Elle attendait un bébé. Et j’ai été très bien reçu. Ils m’auraient gardé plus longtemps mais il y avait les allemands qui n’étaient pas loin et ils avaient peur. Quand mon mari les a retrouvés on est allés chez eux, ils sont venus chez nous. On les a invités, et puis voilà.

    PASTEUR MULLER

    Je suis né le 24 avril 1920 dans un petit patelin qui s’appelait de Meurthe et Moselle, Dongermain, et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 18 ans où je suis allé faire mes études à Paris et j’ai terminé ma théologie à Aix en Provence alors que les allemands sont arrivés dans la zone sud au moment où j’étais en plein dans mes examens et où on les a supportés plus ou moins facilement pendant quelques années. J’ai dû quitter la fac de théologie avant la fin de mes études car les allemands m’avaient envoyé une convocation pour aller au STO, partir à Nuremberg dans une usine quelconque, et un de mes professeurs m’a dit « prenez le large et on va essayer de vous trouver quelque chose » finalement je suis arrivé à Lédignan, un village à 14km d’ici et je suis devenu avant l’heure pasteur de Lédignan. Et c’est là que nous avons eu l’occasion d’accueillir des gens, et en particulier Mme Lévita.

    Vous saviez donc que vous preniez des risques et des risques énormes pour votre femme, votre futur enfant et pour vous-même ?

    Non, je dois dire que c’est idiot pour moi c’était comme si j’avais accueilli quelqu’un de ma famille, cela m’a semblé normal. Le brave homme qui me l’a amenée, c’était un de mes paroissiens, c’était le maire d’un petit village à côté de Ledignan, à Egremont, il a reçu Mme Levita, qu’il connaissait depuis des années, ils allaient souvent les uns chez les autres, et quand elle est arrivée chez lui, il lui a dit « c’est trop dangereux, je vous emmène chez le pasteur ». Et c’était beaucoup plus dangereux chez le pasteur que chez lui dans ce petit village d’Egremont, où il n’y avait personne, alors qu’à Lédignan pas encore à cette époque mais dans le village il y avait toujours une ou deux compagnies de soldats allemands qui surveillaient car c’est un carrefour important de croisement de deux routes nationales, une qui va vers Rodez et une qui va vers Montpellier, alors les allemands tenaient beaucoup à être installés à ce carrefour qui leur semblait important. Et c’est pourquoi nous avons gardé Mme Lévita une quinzaine de jours et il nous aurions pu la garder plus longtemps mais c’était trop incertain comme sécurité surtout que la plupart de mes paroissiens, pas tous, mais un certain nombre, dont mon voisin le plus proche, n’était pas du tout au courant et il valait mieux car il ne m’aurait pas dénoncé mais sa femme a dit un jour à la mienne « si un juif venait me demander de le recevoir, je lui dirais « écoutez, je vous aime beaucoup mais vous ne pouvez pas rentrer chez moi, c’est trop dangereux , alors ne restez pas ici ». Elle ne savait pas que nous avions Mme Lévita à 10m de sa maison.

    Même pour nous c’était tout à fait normal. Nous n’aurions pas hésité un seul instant. Pendant que Mme Lévita était à la maison, son mari était à la clinique de la maison de santé protestante, il a fallu organiser son évasion. Mais je n’étais pas dans le coup, ce sont les gens de Nimes qui s’en sont occupés. On s’est occupés nous du départ de Mme Lévita vers les Cévennes. Elle a été accueillie chez le pasteur Peloux avec qui j’étais en relations et alors c’est comme cela que nous avons appris un beau matin, je ne sais pas comment car nous n’avions pas le téléphone, qu’une voiture dans la nuit, entre une et deux heures du matin, arriverait sur la route de Nimes à Lédignan par Egremont, ferait un appel de phares et je serais chargé avec Mme Lévita d’aller sur le bord de la route  et de faire signe. C’est ce que nous avons fait sans problème ; on s’est caché dans le fossé et on a attendu l’appel de phares, et quand c’est arrivé, on s’est levés, j’ai embrassé Mme Lévita et puis je l’ai embarqué dans la voiture et je ne l’ai plus revu.

    Mme ESTHER MULLER

    Mon père était un homme qui lisait énormément sa bible et qui nous a parlé du peuple juif. Donc cela n’était pas quelque chose d’inconnu pour moi. Je pense faire des études d’infirmière, et je commence à Paris au début de la guerre, chez les Diaconesses de Reuilly et à ce moment là les allemands arrivent à Paris. On nous a donc fait rentrer chez nous, la direction ne voulant pas avoir  la responsabilité de jeunes filles mineures. Je suis restée chez mes parents 4 mois, aucun appel n’arrivait si bien que mon père m’a inscrite à l’école protestante de Nîmes, à l’école d’infirmières, donc j’ai terminé mes études à Nîmes, et en attendant de me marier j’ai fait un stage de 6 mois à la maison de santé d’Alès et c’est là que j’ai pris conscience de ce qui se passait parce qu’un matin en prenant le déjeuner avec la directrice avant de prendre le service, la porte s’est ouverte et trois ou quatre personnes se sont jetées à nos genoux en nous disant « cachez-nous, cachez-nous, les allemands nous cherchent » c’était des diamantaires d’Anvers. Comme on avait des médecins qui étaient des types très bien, on a opéré, on a opéré des appendicites, il n’y avait rien, mais on a opéré pour essayer de sauver ces gens. Donc cela a été ma première vision de ce qu’allait être l’occupation allemande et ce que c’était que  l’antisémitisme. Pendant ce temps là mes parents avaient déjà un couple juif à la maison, cela commençait déjà tout doucement, c’était en 42.

    Vous êtes jeune mariée, vous êtes enceinte …

    Ah oui, je savais les risques qu’on allait prendre et un jour je l’ai supplié d’arrêter. Il m’a dit « moi quand je sens que je dois faire quelque chose, personne ne peut m’arrêter ».

    Un jour il arrive chez nous et il me dit « voilà Mme Lévita, une juive, son mari a été blessé ». Elle était tellement gentille que je l’ai acceptée tout de suite. Mon père nous avait appris tellement de choses, je me suis dit « il faut que je le fasse, pas de problème, non vraiment ». Vous dire que je n’ai pas eu la frousse, oui, parce que le presbytère était là et à 4m des escaliers, on avait une salle où il y avait 25 allemands, qui s’épandaient dans le jardin. C’était difficile, elle était avec moi dans la maison, elle m’a beaucoup aidée, cela s’est très, très bien passé. On a dit s’il y a quoi que ce soit, c’est une cousine, elle pouvait être ma sœur, elle avait 4 ou 5 ans de plus que moi. Elle ne sort pas du tout dans le jardin, elle ne se montre pas du tout à la fenêtre de la cuisine, on a fait tout de suite une petite règle de vie et il n’y a eu aucun problème.

    Est-ce que vous avez parlé de tout cela facilement à vos enfants ?

    Nous avons parlé de la résistance. On n’a pas parlé de Mme Lévita. C’est resté quelque chose pour nous deux.

    Roger et Esther MULLER en septembre 1944

    1994 - Roger & Esther Muller

    Articles annexes

    Les médias externes :