Jules Roger, qui était boucher, habitait à Buzançais (Indre) avec sa femme Jeanne, qui faisait du repassage pour arrondir les fins de mois, et leur petit garçon qui avait eu dix ans au début de la guerre. Jules faisait de la Résistance. Sa femme et lui hébergèrent des résistants en fuite ainsi que des adultes et des enfants juifs. Le jeune Herbert Loeb avait été interné au camp de Gurs dans le sud de la France en octobre 1940 avec toute sa famille, ainsi que des milliers de Juifs de Bade et du Palatinat. Ses parents furent ensuite déportés à Auschwitz où ils périrent. Mais dès février 1941, l’organisation juive « OSE » avait fait sortir Herbert et d’autres enfants du camp de Gurs, et les avait placés dans diverses institutions situées au centre de la France. Vers la fin de 1942, Herbert Loeb, qui avait passé plusieurs mois dans les homes de l’OSE de Chabannes et de Montintin, fut confié aux Roger qui avaient accepté de lui donner asile. Un an plus tard, Jules Roger apprit que des mouchards s’apprêtaient à le dénoncer. Il envoya aussitôt l’enfant chez sa mère qui l’inscrivit dans une école religieuse. Pour dissimuler ses origines, Herbert devint enfant de choeur. Il aurait voulu être catholique comme tous ses camarades. Les Roger lui expliquèrent cependant qu’il ne devait pas renier ses origines mais en être fier. Après la guerre, il ne retrouva aucun des membres de sa famille : ils avaient tous péri dans les camps. Herbert vécut chez les Roger jusqu’en janvier 1946. Un parent éloigné en Suisse s’étant déclaré prêt à l’adopter, les Roger aidèrent l’enfant à le rejoindre. Le petit Léopold Lazare, né en 1939 en Belgique, fut lui aussi placé chez les Roger lorsque sa famille fut déportée à Buchenwald. Interné au camp de Rivesaltes, il avait pu en sortir grâce à l’OSE. Il vécut chez les Roger jusqu’à la fin de l’Occupation. Il s’était tellement attaché à ses parents d’adoption qu’il eut beaucoup de mal à les quitter lorsque ses propres parents, qui avaient survécu, vinrent le rechercher après la guerre. Pendant toute la période de l’Occupation, les Roger s’occupèrent avec un immense dévouement des enfants qui leur avaient été confiés, faisant de leur mieux pour les consoler de la séparation d’avec leurs parents et de ne pas en avoir de nouvelles. Ne pouvant obtenir de cartes d’alimentation pour leurs protégés, Jules et Jeanne partageaient leurs rations avec eux. Ils avaient mis leur foyer à la disposition de la Résistance, qui y stockait des armes et des papiers et y logeait parfois des clandestins. Le danger était donc considérable. Après la guerre, Herbert « Ehud » Loeb et Léopold Lazare restèrent en relations avec leurs sauveteurs, et leur rendirent visite même après avoir émigré en Israël.
Le 7 mai 1989, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné à Jules et Jeanne Roger le titre de Juste parmi les Nations.
Le témoignage
Louise ROGER
Louise Roger était une femme simple, modeste, droite, rude et autoritaire. Louise Roger avait trois fils, Gustave, René et Jules.
Cette paysanne, veuve, tenait une ferme avec un poulailler, une jument, une vache et quelques chèvres, tout comme elle s’occupait du potager et de la vigne non loin de la ferme. Elle menait une vie austère, frugale. La ferme ne possédait ni l’électricité ni l’eau courante.
Le jeune Herbert Odenheimer, né en 1934 à Buehl (Allemagne), avait été extrait du camp de Gurs en février 1941 par l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants), organisation de sauvetage des enfants Juifs.
Les parents d’Herbert, Hugo, 42 ans, son épouse Julchen née Schweizer et sa grand-mère seront transférés du camp de Gurs, au camp de Rivesaltes puis vers Drancy avant d’être déportés sans retour à Auschwitz en septembre 1942 par des convois séparés.
Herbert est alors placé dans diverses institutions au centre de la France dont Chabannes et Montintin.
En septembre 1942, il est placé dans une famille chrétienne où il sera mal traité. L’assistante sociale qui vint le visiter en novembre 1942 décidât immédiatement de le confier à Jules et Jeanne Roger à Buzançais.
Un an plus tard, Jules Roger, qui était résistant, abritait des maquisards blessés et cachaient des armes dans sa maison, craignant une dénonciation, envoya l’enfant chez sa mère, Louise Roger à Argy, un village tout proche où il fut en sécurité.
Herbert était munis de faux papiers au nom de « Hubert Odet ». Seuls le curé du village et Louise Roger connaissent la véritable identité du petit juif pourchassé.
Louise Roger, femme sévère au coeur généreux, accueille Herbert Odenheimer et l’affection se tisse entre eux deux, sans les mots et sans les caresses. Herbert l’appelle « grand-mère ».
Le petit « Hubert Odet » apprend le français avec un accent berrichon, fréquente l’école du village, où il est bon élève, garde la vache et les chèvres, va au catéchisme et est enfant de choeur.
Herbert sera à l’abri, protégé, malgré les Allemands et les miliciens aux alentours.
Il y restera jusqu’à la Libération en août 1944 avant de revenir chez Jules et Jeanne.
A la fin de la guerre, La famille d’Herbert Odenheimer ne revient pas.
Herbert, 12 ans, quitte la France en 1946. Il restera en contact avec « tante Jeanne » et « oncle Jules » jusqu’à leur mort.
Il ne pu revoir sa grand’mère, décédée le 24 juin 1947.
Les liens « familiaux » se poursuivent avec les enfants de Jeanne et Jules : leur fils Roger et leur fille Marie-Thérèse.
Argy reste pour Herbert Odenheimer, aujourd’hui Ehud Loeb, « les lieux gravés dans ma mémoire et dans mon coeur, Là où la grand’mère m’avait caché et sauvé la vie. »
Documents annexes
Document Roger Jules 5 mars 2014 09:36:42 | |
Le dernier message de Ehud Loeb à sa mère via la Croix Rouge 5 mars 2014 09:36:00 | |
1945 rapport de l'OSE sur Ehud Loeb 5 mars 2014 09:35:15 |