Ils répondent tous : je n’ai fait que mon devoir. D’une certaine manière, les Justes parmi les Nations sont la plus fidèle représentation des valeurs républicaines
Corinne Melloul
ENTRETIEN –
Alors que l’institution israélienne fête ce mois-ci ces 70 ans d’existence, le Comité Français pour Yad Vashem travaille encore aujourd’hui à retrouver des Justes parmi les Nations.
Par Paloma Auzeau
Il y a près de 80 ans se terminait la Seconde guerre mondiale. Cette page de l’histoire continue de s’éloigner alors que ses témoins, vieillissant, disparaissent peu à peu. Le travail de recherches du Comité Français pour Yad Vashem, en lien avec
l’institution israélienne pour honorer les personnes qui ont sauvé des Juifs au péril de leur vie, se complique d’année en année. Les bénévoles se préparent déjà au moment où plus aucun dossier ne pourra être traité.
Corinne Melloul est historienne et responsable du Département des Justes au Comité français pour Yad Vashem depuis 2001.
LE FIGARO. –
78 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, retrouver des Justes parmi les Nations n est pas aisé.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans vos recherches ?
Corinne MELLOUL.
– La principale difficulté que l’on a est la disparition des témoins. Les critères sont restés les mêmes à travers le temps, et c’est normal, mais ils sont très stricts : il nous faut des témoignages. Nous avons parfois des cas où de personnes ont probablement sauvé des Juifs, mais ils ont aussi contribué l’arrestation et la déportation d’autres Juifs. Notamment les gendarmes et les policiers. Ceci est un réel point de complexité. Il n’y a aucun jugement de notre part car nous comprenons la situation dans laquelle se trouvaient certains policiers : ils auraient pu être facilement découverts s’ils passaient leur temps à ne sauver que des Juifs.
Comment les dossiers sont créés aujourd’hui en sachant que de nombreux témoins sont décédés ?
Nous n’avons aucun moyen d’enquête en amont pour trouver nous-mêmes de possibles Justes. Ce sont toujours les personnes qui viennent vers nous. La plupart du temps ce sont les personnes sauvées qui sont à l’initiative du dossier. Maintenant, on voit de plus en plus la deuxième génération, c’est-à-dire des enfants d’enfants cachés, ou des enfants des personnes qui ont caché des Juifs, être à l’origine des dossiers. Nous assistons ensuite les familles en enquêtant, en lançant des avis de recherche dans la presse juive nationale et internationale, en travaillant avec des associations d’enfants cachés, en utilisant les réseaux sociaux…
Dans les dossiers, il est primordial d’avoir des témoignages de Juifs sauvés ou des documents qui attestent de la présence de Juifs chez les sauveteurs. Dans la majorité des cas, ce sont des correspondances d’après-guerre, des photos, des cartes postales qui font office de preuves. Cependant, toutes les personnes qui ont aidé des Juifs ne pourront pas être honorées car il y a des critères très stricts à respecter : qu’il n’y ait pas eu rétribution financière, qu’il n’y ait pas de liens familiaux(car sauver quelqu’un de sa famille n’a pas le même poids que de sauver un inconnu), et qu’il n’y ait eu aucune intention de conversion religieuse.
Le nombre de dossiers doit donc diminuer chaque année…
Oui effectivement. En 2007, année où nous avons été très médiatisés puisque le Justes ont été honorés au Panthéon, on instruisait 200 dossiers par an. Aujourd’hui nous tournons autour d’une trentaine de dossiers par année. Évidemment ces chiffres vont continuer de diminuer. Aujourd’hui, la grande majorité des titres sont donnés à titre posthume. De plus, l’instruction d’un dossier est longue. Je chapeaute une petite équipe de six personnes qui sont toutes bénévoles et qui n’ont pas de formation spécifique. Ils sont tous très âgés, autour de 80 ans. Une fois le dossier envoyé en Israël, il faut compter à peu près deux ans pour l’examen des preuves. De fait, beaucoup de dossiers sont arrivés ces dernières années car les gens savent que le temps joue contre eux.
Pouvez-vous raconter un dossier marquant que vous avez instruit dans votre carrière ?
Tous les dossiers sont marquants. Mais les cas avec des histoires d’amour sont très touchants. Il y a vingt ans, j’ai rencontré une dame qui avait connu pendant la guerre un jeune homme juif, elle est tombée amoureuse et elle a réussi à le sauver lui et toute sa famille. Elle ne l’a épousé qu’après la guerre, c’est pour ça qu’elle a pu être nommée Juste parmi les Nations. Quand je l’ai rencontrée, elle avait 70 ans et elle avait toujours cet amour dans sa voix et cette candeur. Pour elle, c’était normal de l’avoir sauvé. Elle n’a pas mesuré, comme tous les autres d’ailleurs, les risques. Si on demande aux Justes : «
et si c’était à refaire ?
» Ils répondent tous : «je n’ai fait que mon devoir ». D’une certaine manière, les Justes parmi les Nations sont la plus fidèle représentation des valeurs républicaines.
Comment préservez la mémoire des Justes parmi les Nations ?
Nous savons que dans les années à venir, nous ne pourrons plus faire de dossiers. On travaille donc à faire vivre la mémoire de tous ceux qui ont été nommés. En 2012,nous avons fondé le Réseau Villes et Villages des Justes de France pour que cette Histoire qui est nationale devienne locale. Chaque commune, membre de ce réseau, met en avant l’histoire de ses Justes afin de la transmettre aux jeunes générations. On sait qu’il est plus facile de s’identifier à quelqu’un de sa commune.