Dani Dayan : « Parler de génocide à Gaza est une falsification de la vérité »

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Le président du mémorial de l’Holocauste à Jérusalem, Yad Vashem, fait part de ses craintes face à la montée de l’antisémitisme.

  • PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENT DANIEZ
Soldats à Yad Vashem

Soldats à Yad Vashem

Le massacre de quelque 1 200 Israéliens par le Hamas, le 7 octobre, a donné une résonance particulière à la commémoration, fin janvier, du 79e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, où plus de 1 million de juifs ont été assassinés. Mais, pour Dani Dayan, président de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem, il y a une « grande différence » entre ces deux événements, car, désormais, « Israël existe ». Au cours d’un entretien en marge d’une conférence à Cracovie, en Pologne, sur la montée de l’antisémitisme – organisée par l’Association juive européenne et à laquelle Yad Vashem a apporté son parrainage –, il met en garde contre des slogans tels que « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre », entonné dans les universités américaines, et défend l’intervention armée israélienne à Gaza, où les victimes civiles se comptent par dizaines de milliers. L’ancien consul général d’Israël à New York, qui a fondé par le passé une société informatique, évoque par ailleurs le défi mémoriel que représente la disparition des derniers survivants de la Shoah.

Le 7 octobre et la Shoah
« On trouve dans les deux événements la même cruauté, le même sadisme et, probablement, les mêmes intentions génocidaires. Quand nous avons entendu ces histoires de mères couvrant la bouche de leurs enfants pour ne pas être découverts par les meurtriers du 7 octobre, nous avons tous pensé à la Shoah. Le Hamas voulait cette comparaison : que les Israéliens aient le sentiment que la Shoah se répétait, car rien ne nous terrorise plus que cela. Mais le 7 octobre n’est pas la suite de la Shoah, il y a une grande différence : Israël existe et ses forces armées sont intervenues, même si ce fut tardivement. Nous ne dépendons plus des autres, à supplier de bombarder les lignes de chemin de fer menant à Auschwitz. »

Les accusations de génocide
« Il n’y a pas de génocide en cours à Gaza. Utiliser le terme de “génocide”, créé après la Seconde Guerre mondiale, après la Shoah, pour définir les meurtres intentionnels, à une échelle industrielle, des juifs, est vraiment une falsification de la vérité. Il y a une guerre et, dans la guerre, il y a toujours, malheureusement, des victimes collatérales. Mais il n’y a pas d’intention de tuer le plus possible de Gazaouis. Je suis convaincu que les forces israéliennes font tous les efforts possibles pour prévenir les morts de civils, même si le nombre de victimes est très élevé, nous en sommes très tristes. Le Hamas, malheureusement, se dissimule au milieu de la population, dans les écoles, les mosquées, les hôpitaux. »

Antisémitisme
« Il montre à nouveau son horrible visage. On voit le vieil et vil antisémitisme nazi et l’antisémitisme relativement nouveau de ceux qui se prétendent antisionistes. C’est la théorie du fer à cheval : l’antisémitisme est le sujet qui rapproche le plus l’extrême gauche et l’extrême droite. J’ai voyagé récemment sur la côte Est des Etats-Unis, pour me rendre dans les plus prestigieuses universités. Pour moi, les étudiants qui reprennent des slogans comme “De la rivière à la mer, la Palestine sera libre” appellent de fait à l’élimination d’Israël. Le problème vient des professeurs qui poussent de telles idées. C’est comme un cancer, nous avons connu il y a quelques années la phase 1, avec le boycott d’Israël, accusé d’avoir mis en place un apartheid. Nous sommes à présent à la phase 2, avec un antisémitisme plus agressif. La phase terminale sera destructrice, mais pour l’université, la société, pas pour les juifs. »

Elon Musk invité à Auschwitz
« La prise de parole d’Elon Musk à la conférence sur l’antisémitisme ne s’est pas faite sous le parrainage de Yad Vashem. La partie à laquelle nous avons donné notre parrainage s’est arrêtée avant sa prise de parole. Il ne fait aucun doute que certaines déclarations de M. Musk ont été dérangeantes [NDLR : il a notamment retweeté un post antisémite en novembre], nous ont déplu et sont une source d’inquiétude. Mais il n’est pas le seul. Il faut faire la différence entre les antisémites et les ignorants.

Toutes les personnes qui disent des choses outrancières à propos de la Shoah ne sont pas nécessairement des antisémites, elles peuvent aussi être ignorantes. Kanye West est un antisémite [NDLR : le rappeur a déclaré publiquement : “J’adore les nazis, j’aime Hitler”]. Une autre célébrité a causé un scandale : l’actrice Whoopi Goldberg. Elle a dit que “l’Holocauste n’était pas une question de race” et qu’il s’agissait d’une “violence de Blancs contre des Blancs”. C’est de l’ignorance. Elle n’est peut-être pas antisémite et n’a pas la moindre idée de ce qu’est vraiment la Shoah, 100 % raciale du point de vue de ceux qui l’ont perpétrée. Les gens me demandent parfois pourquoi nous n’avons pas invité Kanye West à Yad Vashem. Ce serait une perte de temps. Whoopi Goldberg, qui a été suspendue deux semaines par une chaîne, devrait venir, car elle est ignorante. »

La montée de l’extrême droite en Europe
« Elle m’inquiète beaucoup. Notamment l’ascension du parti Alternative pour l’Allemagne [AfD]. En France, il y a aussi un cas unique : un candidat à la présidentielle qui déforme l’histoire de l’Holocauste et se trouve être juif, Eric Zemmour. Je ne dis pas qu’il la nie, d’ailleurs presque plus personne ne le fait. Yad Vashem a aujourd’hui d’excellentes relations avec le gouvernement d’Autriche. Mais, si le prochain chancelier était Herbert Kickl [NDLR : chef du parti d’extrême droite FPÖ], je ne sais pas si cela continuera. On regarde l’Europe avec des sentiments partagés. D’un côté, la Commission européenne a une excellente stratégie pour combattre l’antisémitisme, qui a besoin d’être appliquée et, d’un autre côté, on voit la montée de partis qui ont un passé et un présent très sombres. »

La disparition des survivants de la Shoah
« Nous délibérons beaucoup là dessus. Ma conclusion est que toutes les façons technologiques pour les remplacer, comme les hologrammes qu’on trouve dans les musées ou l’intelligence artificielle [IA], avec qui converser malgré leur mort, échoueront. Nous n’y croyons pas, ce serait de la manipulation. Et un film ne remplacera pas une personne réelle qui témoigne devant vous. Il va falloir s’adapter à un monde sans témoins. Notre tâche sera plus difficile et en deviendra encore plus importante quand cela arrivera, d’autant que les négationnistes et ceux qui déforment l’Histoire en profiteront. C’est la raison pour laquelle nous continuons à rassembler de la documentation. A Yad Vashem, les archives comptent plus de 230 millions de documents. Le fait que les derniers survivants s’éteignent donnera de la place aux victimes qui n’ont pas survécu à la Shoah. Cela peut mener à certains développements intéressants. Je n’ai jamais oublié une seule seconde que 6 millions de juifs n’ont pas pu témoigner devant une caméra, ou en présence d’un écrivain, pour raconter leur histoire. »

Les noms manquants
« Abel Herzberg, un avocat néerlandais, a dit : “Ce ne sont pas 6 millions de juifs qui ont été assassinés par les nazis, mais un juif qui a été assassiné 6 millions de fois.” Nous avons réussi à enregistrer 5 millions de noms et comptons utiliser l’IA pour exploiter des témoignages oubliés, comme cet enregistrement audio laissé par un survivant qui parle de son petit frère Moshe, qui a été assassiné. Nous allons retrouver encore des noms, mais pas tous, nous en avons conscience. En Europe de l’Ouest, les nazis étaient plus méticuleux et ont laissé des listes détaillées des juifs transportés vers les camps, avec leur âge, tout… Dans l’est de l’Europe, c’était complètement différent, si des juifs étaient tués près d’une rivière, dans un village, personne n’enregistrait leurs noms avant leur exécution. A Yad Vashem, nous avons des pages blanches dont on sait qu’elles ne seront jamais remplies. » ✸