Elie Wiesel : « Le cas Sondergerg »

Accueil/La vie du Comité/Actualités/Actualités de Paris/Elie Wiesel : « Le cas Sondergerg »

Dossier n°

Elie Wiesel : « Le cas Sondergerg »

« Ma question est : pourquoi le monde n’a-t-il rien appris ? »

Elie Wiesel…

Présentation par Elie Wiesel :

– « Souvent, dans l’immensité de la littérature talmudique, en plein débat ou en plein recueillement, il arrive qu’un Sage interroge ses collègues sur lui-même :
 » Mais qu’est-ce que tout cela signifie ? »

La signification de ce roman ? Il tourne autour d’un procès, donc d’une rencontre.
D’un côté, un vieil Allemand et son petit-fils : deux générations s’affrontent. Le vieil homme est jugé non par un tribunal, mais par son descendant. Ils sont partis ensemble dans la montagne. Le plus jeune est revenu seul… Coupable ou non coupable ?
De l’autre côté, un journaliste, Yedidyah. Il évolue dans la rédaction d’un quotidien new-yorkais avec ses intrigues et ses fidélités. Critique théâtral, époux d’une actrice, il participe de la « comédie new-yorkaise ». Les succès éphémères, les gloires oubliées : rien n’est plus joyeux qu’une nouvelle étoile, rien n’est plus mélancolique que son crépuscule. Yedidyah aime le théâtre qui constitue un temps sacré, intime : tous les soirs, sur un plateau aussi limité qu’une boîte d’allumettes, les acteurs créent un monde avec ses instants de lumière ou de colère.
Mais voilà qu’on lui demande un jour de « couvrir » le procès d’un certain Werner Sonderberg, ce qui déclenche en lui d’étranges et puissants échos. Sentant qu’il se heurte à un secret familial, Yedidyah tente de sonder sa propre mémoire. Qui est-il vraiment ? D’où vient-il ? Qui est l’ami, lequel est l’ennemi ? Comment retrouver les visages disparus d’un père, d’une mère qui l’a quitté encore enfant, d’une sœur ?
Offre de mission clandestine pour Israël, fuite du bonheur facile, épisodes de l’Occupation et de l’après-guerre, camaraderie de combat et désillusions : tout s’enchevêtre dans sa conscience. Obsédé par l’appel de la folie, il redoute de se définir par elle. Est-elle un péril ou un refuge ? Un regard des dieux rieurs ou un sanglot muet des morts sans sépulture ? Est-on capable de guérir ce genre de folie ou du moins de l’apprivoiser ?

Alors, la signification de ce roman, c’est peut-être de s’efforcer d’éclairer un peu cette simple question : comment vivre dans un monde qui nous renie, comment inventer un avenir sur les ruines de tant d’espérances ? »

Elisabeth Lévy et Franz-Olivier Giesbert :

– « Question :
Le héros de ce roman est un jeune Allemand qui découvre le passé nazi de son grand-père. C’est la première fois que vous traitez frontalement de la culpabilité. Vous qui avez voué votre existence et une grande partie de votre oeuvre à la mémoire des victimes, cherchez-vous maintenant à percer le mystère des bourreaux ?

Elie Wiesel :
Les victimes continuent à m’obséder. D’autres se sont concentrés sur les tueurs, sur les bourreaux, alors que les victimes ont toujours occupé tout mon être et tout mon temps. Dans ce livre, j’ai voulu donner la parole aux enfants des bourreaux, leur permettre de dire à leurs pères :
« Vous l’avez fait pour nous ? Mais nous ne voulions pas cela ! »
Le paradoxe est que le grand-père, qui est coupable, se sent innocent, alors que le petit-fils, qui n’est pas coupable, se sent coupable. Le roman met en scène cet affrontement entre celui qui assume la responsabilité de crimes qu’il n’a pas commis et celui qui rejette celle des crimes dont il est coupable. »
(Le Point, 11 septembre 2008)

Grégoire Leménager :

– Rarement un roman avait été peuplé d’autant de points d’interrogation. C’est que dans les thèmes abordés par Elie Wiesel, rien ne va de soi. Un jeune Allemand, accusé du meurtre de son oncle, plaide « coupable et non coupable ».
Son procès réveille de vieux démons : la solution finale, la difficulté de juger, la tentation de prendre le monde pour un théâtre sans voir que « l’histoire n’est pas un jeu ». Une telle densité du propos pour rait nuire, s’il ne s’imposait grâce à une narration fluide, servie par une langue claire et nette. Wiesel s’autorise une allusion à « La Chute » de Camus. C’est dans cette veine-là, un certain cynisme en moins, que s’inscrit « le Cas Sonderberg » : celle d’un roman à idées soumis à la question, toujours mordante, d’une impossible innocence.

Elie Wiesel :
Pourquoi le monde est-il encore le monde qu’il est ?
En 1945, paradoxalement, j’étais très optimiste. Je pensais: on a appris. Si quelqu’un m’avait dit que je devrais encore combattre le fanatisme…. Ma question est : pourquoi le monde n’a-t-il rien appris ? »
(Le Nouvel Observateur, 23 octobre 2008).

Alexander Kneting :

– « Et, à la fin de tout cela, Yedidyah se pose une question légitime :
« est-ce possible que je quitte ce monde sans certitude ? »
Oui, car dans la vie réelle rien n’est absolu. La justice, la beauté, la mémoire éternelle appartiennent au monde du théâtre. La vie réelle n’est jamais totale, mais terriblement ambivalente.
Comment, dès lors, échapper à cette horreur ? En croyant. En Dieu ? Peut-être. Mais surtout en l’homme. Car, comme le dit le sage grand-père dans une des dernières phrases qu’il adresse à son petit-fils :
« Tant que tu vis, tu es immortel, car ouvert à la vie des vivants. Une présence chaleureuse, un appel à l’action, à l’espérance, au sourire même face au malheur, une raison de croire, de croire malgré les échecs et les trahisons, croire en l’humanité de l’autre, cela s’appelle l’amitié ».
(Arte Histoire, 9 septembre 2008)

Pour rappel :