L’église de France face à la persécution des juifs

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Dossier n°

L’église de France face à la persécution des juifs


Sylvie Bernay : L’église de France face à la persécution des juifs 1940-1944 (CNRS Editions)

Il s’agit d’un travail de fond, extrêmement documenté, sur une question complexe : l’attitude de l’église catholique française face aux persécutions des juifs sous l’occupation, dans un contexte où le pays est divisé en zone libre et occupée, où la hiérarchie est elle-même divisée entre son allégeance déclarée au régime de Pétain et son opposition aux mesures visant les juifs, tiraillée entre ses tendances maurassiennes et démocrates chrétiennes, placée au cœur des tensions entre l’occupant qui souhaite l’affaiblir et le gouvernement de Vichy qui veut la contrôler, alors qu’elle tente de retrouver la place qui était la sienne avant les lois de séparation. Pourtant son action et ses prises de position auront au bout du compte contenu l’ampleur de la persécution, en organisant des réseaux de sauvetage, en suscitant des résistances aux déportations au sommet de l’Etat comme dans la police commise aux basses œuvres des rafles, en apportant son soutien aux réseaux juifs au nord et au sud. Comme le rappelle l’auteure, en matière de comptes macabres, les trois quarts des Juifs de France auront échappé à la mort malgré le programme d’extermination des autorités d’occupation.

Le recours à l’Eglise pour se protéger de l’antisémitisme des chrétiens est une longue tradition, pratiquée depuis le Moyen Age. Même si la position doctrinale de l’Eglise à l’égard du judaïsme n’est pas fixée avant Vatican II, le contexte est favorable à la compréhension réciproque dans l’entre-deux-guerres grâce à l’influence des intellectuels catholiques qui redécouvrent les racines juives du christianisme et, comme Jacques Maritain, considèrent que l’antisémitisme est impossible pour un chrétien. Dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler, avec les premières violences, un front interconfessionnel se forme, qui organise des meetings de soutien pour sensibiliser l’opinion publique et certains prélats dénoncent l’antisémitisme du nouveau régime, comme l’archevêque de Paris, le cardinal Verdier, qui exprime publiquement sa solidarité avec les Juifs. Lorsque les réfugiés commencent à affluer au cours de l’année 1933, la première vague des opposants est formée par de nombreux juifs et l’aide s’organise dans cet esprit interconfessionnel. Plus tard, sous l’occupation, c’est dans les camps d’internement que cette aide interviendra, souvent en lien avec la Résistance, notamment pour exfiltrer certains réfugiés, placer des enfants ou accueillir des intellectuels proscrits ou des étudiants juifs. A Toulouse, par exemple, Vladimir Jankélévitch, son beau-frère Jean Cassou ou encore Edgar Morin seront cachés à l’Institut catholique.

Sylvie Bernay a découpé son étude en trois grandes parties. Le temps du repli, le temps des rafles et le temps des sauvetages. Le temps du repli désigne la période de la défaite et de la mise en place du premier statut des Juifs par l’Etat français, un statut que l’Eglise n’a pas dénoncé. Elle semble alors privilégier les interventions diplomatiques officieuses pour sauvegarder ses propres libertés, menacées par l’occupant, qui aimerait notamment contrôler les mouvements de jeunesse comme la JOC, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne ou son équivalent dans le monde rural. Lorsqu’à l’été 1941 le Commissariat général aux Questions juives fait voter des mesures beaucoup plus sévères, incluant notamment la spoliation des biens juifs, des voix s’élèvent. Le cardinal Gerlier archevêque de Lyon et primat des Gaules remet une lettre de protestation au Maréchal Pétain. Mais l’absence de réaction officielle et de dénonciation publique suscite l’impatience de certains, comme François Mauriac lors d’une séance à l’Académie française, qui s’offusque du silence de l’épiscopat et réclame une condamnation officielle du Pape.

Lorsque commencent les rafles, au début de Juifs étrangers puis progressivement de Français, les protestations, d’abord discrètes et rapidement plus explicites vont se multiplier. Et à mesure que les informations sur la destination finale des convois de déportés se diffusent, leur contenu se fait si accusateur que le gouvernement de Vichy tentera par tous les moyens de les censurer, en demandant aux maires d’en interdire la lecture en chaire dans leurs paroisses. En particulier la lettre de l’Archevêque de Toulouse aura un retentissement considérable. (P. 346) Celle du Cardinal Gerlier, le primat des Gaules, impressionne momentanément les SS, auxquels Laval et Bousquet demandent une pause dans les rafles car ils ne peuvent garantir le maintien de l’ordre public dans ces conditions. Après l’été 42 la police française renâcle et le nombre de déportés va baisser de moitié pour l’année 43 avant d’augmenter à nouveau dans la grande violence des derniers mois de l’occupation. Pendant toute cette période, les couvents et les presbytères s’ouvrent pour cacher ceux qui arrivent à s’échapper. Sylvie Bernay décrit les réseaux qui se forment en lien avec la Résistance en zone sud, autour des « diocèses refuges », et au nord en relation étroite avec les réseaux juifs.

Dans le livre il est évidemment beaucoup question de Pie XII, qui était, directement ou par l’intermédiaire du nonce, en relation étroite avec l’épiscopat français et informé de toutes les décisions et lui-même sollicité pour condamner publiquement le nazisme et la Solution finale. Pour compléter les éléments du dossier constitué par Sylvie Bernay, on pourra utilement se reporter au livre de Menahem Macina : L’apologie qui nuit à l’Eglise. Révisions hagiographiques de l’attitude de Pie XII envers les Juifs (Cerf)

Si Pie XII ne fut certainement pas le « Pape d’Hitler », le propulser « Juste des nations » semble pour le moins prématuré à l’auteur de ce livre qui dénonce l’action entreprise par la fondation du Juif new yorkais Gary Krupp, qui a obtenu en juillet 2009 le droit d’inscription à la procédure de reconnaissance de Pacelli en qualité de« Juste parmi les nations ».

Le cardinal Gerlier recevra à titre posthume la médaille des Justes parmi les Nations de Yad Vashem le 15 juillet 1980.

Jacques Munier

source:http://www.franceculture.fr/emission-l-essai-et-la-revue-du-jour-l%E2%80%99eglise-de-france-face-a-la-persecution-des-juifs-revue-etudes