L’Enfant juif de Varsovie
Exemple, sous forme de montage vidéo, d’une re-construction de la photographie n° 14 du rapport Stroop.
Présentation du Seuil :
– « Tout le monde connaît aujourd’hui la photographie de l’enfant juif du ghetto de Varsovie : au fil du temps, elle a transformé son protagoniste en » icône » de la Shoah. Fréquemment reproduite en une des magazines et sur des couvertures de livres, source d’inspiration pour les artistes, elle a aussi subi des recadrages qui, peu à peu, en ont fait une image de compassion, dépouillée de toute référence aux bourreaux. Frédéric Rousseau déconstruit et interprète ce récit photographique de 1943 à nos jours et s’interroge sur notre rapport à cette image, qui fait désormais partie de notre mémoire collective et que nous regardons sans voir.
L’auteur :
Frédéric Rousseau est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry de Montpellier.Il a notamment publié La Guerre censurée (Seuil, 1999, Points Histoire, 2003) et Le Procès des témoins de la Grande Guerre (Seuil, 2003). Il a obtenu le prix de la Fondation Auschwitz de Bruxelles pour la rédaction de L’Enfant juif de Varsovie. »
Laurent Lemire :
– « Que peut nous dire une photographie quand elle devient une icône de la Shoah ? Qui fut cet enfant juif du ghetto de Varsovie ? Quelle est l’histoire de cette image tirée d’un album destiné aux SS ? Frédéric Rousseau nous livre une enquête édifiante sur l’itinéraire d’un document et son usage, en fonction des intérêts poli tiques et des avancées de la connaissance historique. Un travail aussi rigoureux que passionnant sur la manière dont se forment les représentations de l’histoire et ce que voir veut dire. »
(Le Nouvel Observateur, 8 janvier 2009)
Le général SS Jürgen Stroop, bourreau du ghetto de Varsovie. Photo prise au 4e jour de l’insurrection. DR.
Jean-Louis Jeannelle :
– « Rousseau rappelle qu’à l’origine l’enfant juif de Varsovie n’était pas seul : son étude s’ouvre sur les 53 photographies jointes au rapport que le général Jürgen Stroop, responsable de la liquidation du ghetto au printemps 1943, destinait aux plus hauts dignitaires de la SS. C’est là que se trouvait initialement le cliché de ce garçon que nous connaissons tous… « de vue ».
Replacée dans cet album, la photographie prend une autre portée. Car Stroop avait soigneusement choisi chaque reproduction, destinée à glorifier les soldats allemands tombés au combat « pour le Führer et la Patrie » et contre les « bandits juifs » : son « rapport » se voulait un matériau d’archive, exigé de lui par ses supérieurs, et que Stroop lui-même entendait utiliser pour la rédaction de ses Souvenirs et ses « futurs travaux d’histoire ».
Trop familière, trop émouvante, en quelque sorte aveuglante, l’image du garçon juif retrouve sens, réinscrite dans la série photographique confectionnée par les meurtriers eux-mêmes, et dans laquelle Rousseau identifie un véritable « récit » : l’arrestation systématique des familles juives cachées dans le ghetto incendié immeuble après immeuble ; leur acheminement vers l’Umschlagplatz, d’où elles étaient déportées à Treblinka ; les « bunkers » précaires dans lesquels elles se terraient ; ou encore l’élimination des « parachutistes » – ainsi nommait-on les juifs qui « se précipitaient sur le sol, sur l’asphalte et les pavés, du haut des fenêtres, des balcons et des greniers des maisons dont le rez-de-chaussée était en flammes », et que les soldats tuaient « en plein vol ».
Au milieu de cet album, dont les commentaires de Frédéric Rousseau rendent chaque détail plus saisissant, la photographie n°14. « De par sa position, au coeur de la photographie, écrit l’historien, le garçonnet crève littéralement le cadre composé par l’opérateur. » A côté de lui, au premier plan, une femme se retourne : peut-être a-t-elle reconnu le soldat qui pointe son fusil sur l’enfant ; il s’agit de Josef Blösche, bien connu dans le ghetto pour son sadisme.
Entre l’intention à laquelle répondait cette photo et la lecture qui en est faite aujourd’hui, l’écart est vertigineux : loin de chercher à susciter la pitié pour d’impuissantes victimes, l’image avait pour fonction première d' »illustrer la force d’âme d’un grand chef, Jürgen Stroop, ainsi que le dévouement admirable de ces troupes d’élite capables de surmonter l’inhumanité apparente de leur mission au nom de l’idéal nazi« . Pour nous, à l’inverse, tout y dénonce l’intention héroïsante de Stroop : sur le visage des femmes et des enfants que les nazis se faisaient une gloire d’exterminer, c’est la terreur que nous reconnaissons. »
(Le Monde, 9 janvier 2009).