Rachel Roizès : « Tous les enfants juifs n’ont pas eu la chance de croiser des Justes »
Du 04/10/2016
Rachel Roizès
Rachel Roizès est un petit bout de femme aussi discret que tenace qui, depuis bientôt dix ans, mène un combat contre l’oubli, celui qui guette notre société amnésique. Présidente-fondatrice de l’association Mémoire des enfants juifs déportés (Toulouse-MEJD), elle se bat pour préserver la mémoire des enfants juifs réfugiés avec leurs familles en Haute-Garonne durant les années noires, arrêtés et déportés dans les camps de la mort et pour sensibiliser les jeunes générations au danger de l’antisémitisme et du racisme. Celle qui, enfant, a échappé à la mort grâce au courage d’un Juste veut aller au bout de la mission qu’elle s’est assignée : donner une sépulture symbolique aux enfants raflés en Haute-Garonne (la plupart à l’été 1942) et morts dans les camps. La première plaque a été inaugurée à Saint-Julia, petite commune du Lauragais, en avril 2010. Depuis, plusieurs autres ont été apposées à Bouloc, Sarrecave, Auriac-sur-Vendinelle, Cierp-Gaud, Aspet, Grenade et Trébons-sur-la-Grasse. Dans quelques semaines, elle se rendra à Labarthe-Inard et à Luchon. Elle espère aujourd’hui que les discussions engagées avec la Ville de Toulouse qui a donné son accord de principe vont se concrétiser rapidement.
« Tuer un enfant, c’est tuer l’humanité »
Son combat contre l’oubli
Elle identifie les 108 enfants raflés et recense les 21 lieux de déportation en Haute-Garonne. Ils s’appelaient Charles et Ida, Elie, Mariette et Jules, Jeanne, Gunther, Jean, Susi et Max, Sarah, Rachel, Nina et Joseph, Sylvain, Suzy et Eliane, Jacob et Sarah… Ils venaient de Belgique, d’Autriche, de Pologne ou d’Allemagne. Avec leurs familles, ils avaient trouvé refuge en zone libre où ils pensaient être en sécurité. Ils ont été arrêtés à Bouloc, Grenade, Bruguières, Pibrac, Léguevin, Saint-Lys, Muret, Toulouse, Cessales, Luchon, Auriac-sur-Vendinelle, Saint-Julia, Revel, Vaudreuille, Trébons-sur-la-Grasse, Rieumes, Sarrecave, Labarthe-Inard, Aspet, Cierp-Gaud et Saint-Mamet. Pour une majorité d’entre eux lors de la rafle du 26 août 1942. De Noé, ils ont partis pour Drancy et, de là, pour Auschwitz par le convoi n° 28 du 4 septembre 1942. Pour ne plus revenir. Une fois la MEJD créée, Rachel Roizès se lance dans un intense travail de documentation et de recherche. « J’ai envoyé des lettres partout, dans les services d’archives, en France et à l’étranger. J’ai contacté l’association des Fils et Filles de déportés. J’ai écrit au Mémorial de la Shoah, dans les mairies, pour essayer de retracer la vie de ces pauvres enfants, pour retrouver des témoins. Dans les villages, 9 fois sur 10, les maires n’étaient pas au courant. Mon rôle n’est pas facile. Je suis un peu la mauvaise conscience ». Mais, à chaque fois, Rachel Roizès convainc. Depuis le printemps 2010, des plaques commémoratives ont été inaugurées à Saint-Julia, Bouloc, Sarrecave, Auriac-sur-Vendinelle, Cierp-Gaud, Aspet, Grenade, Trébons-sur-la-Grasse et au lycée Pierre de Fermat de Toulouse. Au programme des prochains mois figurent Luchon et Labarthe-Inard.
L’engagement du maire de Toulouse
Rachel Roizès ne lâche rien. La Ville Rose a elle aussi été le théâtre de l’arrestation de plus de cinquante enfants juifs. Alors, pour elle, c’est une évidence : une plaque doit y honorer leur mémoire. Rachel Roizès s’en était ouverte auprès de Pierre Cohen lorsqu’il était maire. Ce dernier s’était montré attentif à sa démarche. Au printemps 2015, elle a adressé un courrier à son successeur Jean-Luc Moudenc. Dans une lettre datée du 7 juillet, le nouveau maire de Toulouse lui a répondu favorablement (« je partage votre point de vue sur la nécessité de préserver la mémoire ») donnant son « accord de principe » pour qu’une « stèle de taille modeste » soit édifiée au Jardin des Plantes à proximité du mémorial des Justes. Depuis cet échange, le dossier fait du surplace et Rachel Roizès ronge son frein. Pour Rachel Roizès, la plaque à la mémoire des enfants juifs arrêtés à Toulouse doit être apposée quelques dizaines de mètres après le mémorial des Justes édifié à l’entrée du parc. « Dans cet endroit du Jardin des Plantes dédié à la mémoire, il y a une logique à installer la stèle après le mémorial. C’est une façon de rappeler aux passants que tous les enfants juifs n’ont malheureusement pas eu la chance de croiser le chemin de Justes ». Le 19 août dernier à l’occasion des cérémonies commémoratives de la Libération, Rachel Roizès a rencontré le maire de Toulouse, accompagné de Jean-Baptiste de Scorraille, conseiller municipal délégué à la mémoire et au monde combattant. Elle est aujourd’hui rassurée sur la volonté du maire de tenir son engagement mais elle s’impatiente. Dans quelques jours, accompagnée d’Alain, elle se rendra à Poissy pour honorer la mémoire d’Antoinette et Marcel Loubeau. A son retour, elle espère que le projet toulousain aura avancé. C’est que d’autres communes l’attendent. Celle qui veut « achever le travail entamé en Haute-Garonne » et pour qui « tuer un enfant, c’est tuer l’humanité » s’est fixé un objectif : donner une sépulture symbolique à tous les enfants juifs réfugiés dans notre département et victimes de la barbarie nazie dont l’Etat français s’est fait le complice.