La médaille posthume des Justes pour Yvonne et Sidoine Clément, ancien maire
de droite à gauche, Mr Dagnaud, Mr Ratson, Mme Arondel et Mme Saül déléguée de Yad Vashem
Le jeudi 13 décembre 2012, à la Mairie du dix-neuvième arrondissemnt de Paris, s’est déroulée, sur fond d’histoire de Piolenc pendant l’occupation, une émouvante cérémonie au cours de laquelle a été remise à titre posthume, aux ayants-droits d’Yvonne et Sidoine CLEMENT, la Médaille des Justes parmi les Nations, pour avoir aidé la famille KAHN à échapper au péril nazi et notamment pour avoir hébergé leur plus jeune fils, Bertrand, qu’ils firent passer pour leur neveu.
Sous la Présidence de Monsieur François DAGNAUD, premier adjoint, représentant de Monsieur Roger MADEC empêché, a accueilli un public recueilli et attentif, tandis que Monsieur Elad RATSON, Directeur des relations publiques de l’Ambassade d‘Israël en France remettait la marque de reconnaissance de l’Etat d’Israël aux neveux des Médaillés, Madame Jeanine ARONDEL et Monsieur Jacques BOYER ; Le Comité Français pour Yad Vashem était représenté par Madame Viviane Saül et par Monsieur Paul Ejchenrand,
Bertrand KAHN avait six ans à la déclaration de guerre. C’est lui qui a demandé que soient reconnus comme Justes parmi les Nations, Yvonne et Sidoine CLEMENT qui, à la déclaration de guerre habitaient PIOLENC , petit village du Vaucluse, situé à quelques kilomètres d’Orange où Sidoine dirigeait une usine d’accumulateurs dont Pierre KAHN, son père, industriel parisien, était fournisseur. Les deux hommes, au-delà de leurs relations d’affaires, avaient noué des liens d’amitié.
Il a raconté comment dès la défaite il avait quitté Paris pour Toulouse avec sa famille que le premier statut des Juifs allait bientôt déposséder de ses droits et de ses biens. C’est à cette époque que remontent les premiers souvenirs qu’il garde d’Yvonne et Sidoine CLEMENT venus à plusieurs reprises rendre visite à ses parents pris au piège des lois de Vichy, pour les aider à régler des questions matérielles dont ils ne tirèrent jamais aucun avantage personnel.
A l’invasion de la zone sud, à l’automne 1942, les KAHN quittèrent Toulouse pour rejoindre à Grenoble la zone d’occupation italienne, puis se replièrent à Almont (petit village de l’Oisans) qu’ils durent quitter dans l’urgence sous la menace d’une rafle imminente. C’était en janvier 1944 alors que les déportations redoublaient d’intensité et que les déplacements devenaient de plus en plus périlleux .
Pour faciliter leur retraite, Sidoine CLEMENT vint chercher leur plus jeune fils qui, avait alors 10 ans.
Bertrand raconte aujourd’hui :
« Dès cet instant, il fut convenu que je devais l’appeler « tonton » et le tutoyer.
Nous sommes partis tous les deux en traîneau tiré par un cheval jusqu’à la gare du train départemental qui menait à Grenoble. Sur la porte de l’hôtel Terminus où nous avons passé la nuit, figurait l’inscription « Interdit aux Juifs », et le hall était plein d’officiers allemands en uniforme. Je fis part de mes craintes à Tonton. « Ne t’en fais pas me dit-il, je m’en occupe ».
Le lendemain matin nous prenions le train pour Orange où il récupéra son vélo. Il me fit grimper sur son porte-bagages et huit kilomètres plus loin, nous étions à « La Fabrique », une ancienne magnanerie de Piolenc dans laquelle il avait installé ses ateliers et son habitation. Ce couple sans enfant, était visiblement heureux de m’accueillir : je me sentis aussitôt chez moi.
A mon arrivée Taty faisait du pain. Avec intelligence et délicatesse, pour me distraire du chagrin que j’avais d’avoir quitté mes parents, elle me fit enfourcher un vélo et m’envoya chez le boulanger chercher de la levure. Puis elle me montra un très grand pin planté devant la porte et me promit qu’à la Libération, nous serions tous réunis autour de lui et que nous accrocherions à son sommet un drapeau tricolore qu’elle confectionnerait avec des draps. J’étais ravi.
Dans cette grande bâtisse apparemment sans histoires, je fis le soir même connaissance de deux familles anglaises, les AGUILAR et les OGILVIE auxquels les CLEMENT avaient prêté une partie de la maison. Nous allions le soir écouter la BBC avec eux. J’appris après la guerre que deux réfractaires au Service du Travail Obligatoire que mon oncle surnommait « terres à four », étaient cachés dans les ateliers et que des objets de valeur appartenant à ma famille étaient murés dans la paroi d’un couloir. Ces derniers furent scrupuleusement restitués plus tard.
Les trois mois que j’ai passés à Piolenc (au cours desquels je ne sais pour quelle raison ma grand-mère fut elle aussi cachée quelques jours avec moi) m’ont laissé, envers et contre tout, le souvenir d’une période heureuse pendant laquelle j’ai vécu comme n’importe quel enfant venu en vacances dans sa famille. Je me souviens de Madame CLEMENT mère, de Joseph le frère de Tonton, des voisins venus « tuer le cochon ». Tous ont su se taire et garder le secret de ma véritable identité.
J’étais pourtant heureux trois mois plus tard de retrouver mes parents qui s’étaient entre temps réfugiés à Romans sur Isère. Tonton me conduisit à regret auprès d’eux,
C’est à Romans où allait se dérouler la partie la plus critique de la course contre la mort à laquelle d’autres personnes secourables nous aidèrent à échapper, qu’à l’arrivée des Américains, nous avons recouvré la Liberté.
Très ému d’honorer aujourd’hui aux côtés de Jeanine ARONDEL et de Jacques BOYER, la mémoire d’Yvonne et de Sidoine CLEMENT, cette tante et cet oncle que j’ai partagés quelques temps avec eux, mon regret est toutefois de ne pas avoir eu connaissance plus tôt de la Médaille des Justes pour qu’ils aient pu connaître ainsi que mes parents avec lesquels ils sont toujours restés très liés , les minutes exceptionnelles que nous vivons aujourd’hui.
Article lié au Dossier 12206