Les Janailhac, Justes de Couzeix
Le Populaire du Centre, 9 mars 2010
Sur la photo, de g. à dr., Raymond Janailhac, remise de la médaille par Shlomo Morgan (Ambassade d’Israël), le maire Jean-Marc Gabouty, André Janailhac, avec le diplôme Natan Holchaker (Délégué du Comité Français pour Yad Vashem).
Le sauvetage de Mathilde Feldman
par Henri et Céline Janailhac
agriculteurs de la Haute-Vienne
Le dimanche 7 mars 2010, la Mairie de Couzeix, localité du Limousin, a connu un retour sur son histoire sous l’occupation. Et plus particulièrement sur les circonstances qui ont permis la mise hors des griffes de la Shoah, d’une petite juive originaire de Paris : Mathilde Feldman. Ceux à qui elle doit la vie, Henri et Céline Janailhac, ont été reconnus – à titre posthume – Justes parmi les Nations.
Placée sous le double signe de la reconnaissance et de l’émotion, cette cérémonie de remise de médaille et de diplôme de Justes aux deux fils du couple : André et Raymond, avait été préparée par Natan Holchaker, Délégué du Comité Français pour Yad Vashem. Ministre auprès de l’Ambassade d’Israël, Shlomo Morgan, figurait au nombre des personnalités, de même qu’André Cohignac, représentant « France-Israël » de Limoges.
Synthèse du dossier de Yad Vashem :
– « Beer Feldman, né en 1886 à Kichinev (Bessarabie) et Feiga lta Premysler, née en 1889 à Ladviagine (Russie) fuient les pogroms. Ils arrivent à Paris en 1912 avec leur fils Simon. Tous trois sont accueillis par Jacob Feldman, le frère de Beer.
Beer exerce différents métiers, notamment cloueur en fourrure, tandis que Feiga réalise des travaux de couture. Ils habitent dans le 13e arrondissement.
Ils auront sept enfants : Shia dit Simon né en 1911 à Kichinev, Abraham dit Albert, né en 1917, Raymond né en 1920, Jules, né en 1924 (décédé à l’âge de 10 ans), Félix né en 1925, Fernande, née en 1928 (décédée très jeune), Mathilde née 1931.
Les parents de cette famille nombreuse sont naturalisés Français en 1927.
Une fois la guerre survenue et dès les premières mesures anti-juives, les quatre fils décident de passer en zone sud par des itinéraires différents.
En 1940, Albert, 23 ans, prisonnier de guerre, réussit à s’échapper et parviendra à rejoindre Limoges avec l’aide de passeurs.
En 1941, Félix qui a 16 ans, est envoyé à Telgruc (Finistère), chez un agriculteur. Il y restera jusqu’en 1945.
Simon et Raymond, quant à eux, rejoignent leur frère Albert à Limoges et tous trois trouvent un emploi dans un atelier de fourrure.
Le danger grandissant à Paris, Mathilde qui a 10 ans, part rejoindre ses frères à Limoges, accompagnée par M. Kououmdjian, un ami d’Albert. La gamine possède de faux papiers fournis par une ouvrière de l’atelier de fourrure de Limoges.
Beer et Feiga Fedman resteront à Paris et parviennent à se cacher.
Les trois frères, qui sont en situation irrégulière, choisissent de confier Mathilde à une famille d’accueil. Puis à une autre.
En 1943, Simon est arrêté et interné à Bordeaux. Il sera mis au travail forcé pour l’organisation TODT construisant des rampes de sous-marins de poche pour la Kriegsmarine.
Albert et Raymond veulent rejoindre le maquis, mais il faut d’abord trouver un abri sûr pour Mathilde.
La sœur de Mme Janailhac travaille dans le même atelier de fourrure qu’Albert et Raymond. C’est par son intermédiaire que Mathilde est accueillie à la fin de l’année 1943 chez Céline et Henri Janailhac, agriculteurs, et leurs deux enfants, André (6 ans) et Raymond (4 ans). Ils habitent à Couzeix, petite ville située à quelques kilomètres de Limoges.
Mathilde arrive en pleine nuit et est immédiatement adoptée par la famille. Elle est présentée comme une cousine de Paris, mais Henri et Céline prennent soin d’organiser une cache en cas de danger.
Les Janailhac vont la considérer comme leur fille et s’attacher à elle. Comme Mathilde ne peut pas aller à l’école, elle participe aux travaux de la ferme, aide aux champs et conduit les vaches aux prés.
En septembre 1944, Mathilde, peut rejoindre sa famille. Elle est confiée à une voyageuse et regagne Paris libéré.
La famille Janailhac éprouve beaucoup de peine à la voir partir, mais Mathilde, 13 ans à l’époque, promet de revenir. Elle retournera souvent à Couzeix et restera en contact étroit avec Henri et Céline Janailhac ainsi que leurs enfants. »
Jean-Marc Gabouty, Maire de Couzeix :
– « Nos peuples ne peuvent pas et ne doivent pas oublier cette page douloureuse de notre histoire, épisode dramatique de cette période troublée d’une France tiraillée entre collaboration, passivité et résistance. C’est peut-être dans ces moments où l’on affronte le pire, que le meilleur peut apparaître… »
André Janailhac :
– « En accueillant Mathilde, mes parents considéraient qu’ils n’avaient fait rien d’autre que ce qu’ils devaient faire. Ils pensaient que tout le monde aurait dû faire comme eux. C’était un devoir, une nécessité, un acte de résistance que de protéger Mathilde.
Ce geste ne demandait rien en retour. »
Message d’élèves de CM2 à l’école Jean-Moulin de Couzeix :
– « Nous savons aujourd’hui qu’il y a toujours des gens pour dire non, des gens pour dire non à la haine, non à la peur, non à la mort et pour traiter en frères ceux que l’on rejette et que l’on méprise. »
Article lié au Dossier 11525