8 avril 2010 : Funérailles de Maurice Arnoult
Maurice Arnoult dans son atelier de bottier (Arch. BCFYV / DR).
La famille des Justes en deuil :
Maurice Arnoult s’est éteint
lui qui sauva aussi « l’honneur de la France »…
En juin 2009, tout le Comité Français pour Yad Vashem saluait les 101 ans de Maurice Arnoult.
La page 151 du blog du CF avait tenté de décrire le superbe itinéraire de ce Juste plus que malmené au cours d’une enfance peu enviable. Et qui s’était construit une personnalité d’homme de droiture, de simplicité non affectée, de fraternité effective. Un artisan bottier soucieux du bien et du beau.
Puis quand la Shoah vint dévaster Belleville comme toute la France, au milieu d’une Europe asservie, Maurice Arnoult a sauvé un gosse de son immeuble : Joël Krolik. C’était le 25 juillet 1942. Après Joël, il avait trouvé où cacher le reste de la famille avec une priorité aux enfants. La nuit même, sans doute sur dénonciation, tous furent hélas arrêtés, réduisant à néant ce deuxième acte de courage.
Eléments du dossier de Yad Vashem :
– En 1933, la famille Krolik, des réfugiés juifs de Pologne, s’installe à Paris. Le père, tailleur, avait un modeste atelier dans son appartement à Belleville. A l’été 1942, la famille comptait quatre enfants.
La majorité des locataires de coin de Belleville étaient des étrangers, à l’exception notamment de Maurice Arnoult. Ce bottier, lui-même fils de cordonnier, louait depuis 1937 un atelier dans la cour du bâtiment. Il vivait en excellents termes avec ses voisins, lesquels faisaient régulièrement appel à lui pour résoudre par exemple des problèmes administratifs.
La guerre éclata. L’occupation se fit de plus en plus lourde. Des Français se jetaient dans une collaboration totale. Les mesures antisémites se multipliaient. A Belleville, on serrait les coudes. Pas question de laisser s’amoindrir la solidarité alors que les temps devenaient de plus en plus noirs.
Le 24 juillet 1942, Maurice Arnoult comprit que la capitale devenait trop dangereuse pour les persécutés raciaux. Il alla frapper à la porte des Krolik et leur proposa de mettre les enfants en sûreté chez ses propres parents à Savigny-sur-Orge. Le lendemain 25, ayant décousu l’étoile jaune que portait Joël, le bottier conduisit celui-ci hors de Paris avec une fausse carte d’identité.
Dès le lendemain, Maurice Arnoult avait prévu et promis de poursuivre le sauvetage des Krolik en les plaçant dans d’autres familles. Malheureusement, vers 4 heures du matin, la police française raflait la famille à l’exception de Rosette, 8 ans, mise à la campagne une quinzaine de jours auparavant avec une petite voisine, juive elle aussi.. Le sort des parents et deux des gosses était scellé. Et Auschwitz le destin fixé par la Shoah.
Orphelin, le petit Joël Krolik, enfant caché à Savigny-sur-Orge, resta donc avec Rosette le seul rescapé de sa famille grâce à Maurice Arnoult et aux parents de celui-ci.
Maurice Arnoult :
– a été reconnu Juste parmi les Nations en 1994 ;
– fut décoré de la Légion d’Honneur le 4 juillet 2007 ;
– reçut la Grande Médaille de Vermeil de la Ville de Paris le 11 juin 2008 à l’occasion de ses 100 ans.
Hôtel de Ville de Paris, le 11 juin 2008. Instantané de la remise de la Grande Médaille de Vermeil.De g. à dr. : Maurice Arnoult, Juste parmi les nations; Catherine Vieu-Charier, Adjointe au Maire de paris, chargée de la Mémoire et du Monde Combattant; au micro, Joël Krolik, seul rescapé de sa famille.(Arch. fam. J. Krolik / DR).
Joël Krolik était orphelin de ses parents. Le voici de Maurice Arnoult. Pour ce blog, il a tenu à rédiger ce témoignage de première main.
Joël Krolik :
– « J’avais 6 ans en 1937 quand Maurice Arnoult a ouvert son atelier de bottier au rez-de-cour de l’immeuble au 83 rue de Belleville où j’habitais au 4ème étage avec mes parents, un deux pièces insalubres d’un immeuble misérable (il l’est toujours actuellement), visité régulièrement par des rats, immeuble habité par des ouvriers modestes, juifs pour la plupart, tailleurs comme mon père, fourreurs, maroquiniers, tricoteurs, des ouvriers à façon, pauvres en général.
Toute la journée résonnaient les bruits des machines à coudre, à tricoter, des marteaux, des scies, une véritable ruche bourdonnante pleine de vie.
L’arrivée de Maurice fut un rayon de soleil pour nous, les gosses. De belles voitures se garaient devant l’immeuble. Sous nos fenêtres, des dames élégantes, bien habillées, traversaient la cour sordide, s’engouffraient dans l’atelier de Maurice pour commander de luxueuses chaussures fabriquées pour elles sur mesure.
L’atelier de Maurice devint pour nous les gosses de la cour, la caverne d’Ali Baba. J’y allais trier ses clous et en retour : « tiens, Joël, voilà cent sous », les 5 centimes percés du film de l’époque : « Les cent sous de Lavarède » avec Fernandel, ou pour aller lui chercher ses « gitanes maïs » au tabac du coin. Je récupérais les chutes de cuir aux couleurs chatoyantes pour fabriquer des lance-pierres ou en offrir à mes copines de jeu.
« Tiens Joël, voilà cent sous », disait-il de sa voix faubourienne, sans sortir les semences (clous) de sa bouche, sans lever les yeux, sans interrompre son travail… Encore maintenant, 68 ans après, je l’ai toujours dans les oreilles alors que Maurice vient de nous quitter.
Après la cour, vers 8-9 ans, nous sortîmes jouer dans la rue avec les garçons et filles des immeubles voisins. Mais toujours après l’école, je revenais m’asseoir dans un coin de l’atelier sur un tabouret de bois au siège de lanières de cuir entrecroisées par Maurice.
Je le regardais fasciné par sa rapidité, la dextérité et la précision de ses gestes, le ballet des outils que parfois je lui passais. Souvent, j’y faisais mes devoirs, aidé et conseillé par son expérience, puis il me parlait, il me racontait la vie, l’histoire avec un grand H.
J’ai encore dans la narines l’odeur forte du cuir, de la colle de poisson qui mijotait au bain-marie, de la poix, de la petite lampe à huile qui chauffait les fers, je ne remontais que très tard, dans notre petit logement surpeuplé. Mes parents savaient que j’étais en sécurité chez Maurice. Ils pouvaient me voir de notre fenêtre du 4e étage.
Tout s’est brisé dramatiquement, définitivement fin juillet 1942, je suis devenu un clandestin, une ombre, un enfant caché puis un orphelin. »
(s) Joël Krolik, le 5 avril 2010.
Lettre de Maurice Arnoult publiée par Fleurus Presse (Arch. fam. J. Krolik /DR).
Suite au numéro consacré aux Justes par Fleurus Presse (n° 156), et plus particulièrement à l’histoire de Maurice Arnoult et de Joël Krolik, des enfants ont réagi par un nombreux courrier venu des quatre coins de France.
Maurice Arnould leur répondit par cette lettre qui résume cette blessure au coeur définitive et laissée par la disparition de tous ces enfants victimes si innocentes de la Shoah.
Maurice Arnoult :
– « Chers enfants,
J’ai été très ému à la lecture de vos petits mots.
J’ai repensé à ce que j’ai vécu, il y a plus de soixante ans.
Et c’était très dur. Tous ces enfants qui auraient pu être vos copains, ont été pris au piège…
N’oubliez pas ceux qui allaient comme vous à l’école, et qui, un jour, ont disparu. »
(s) Maurice Arnoult.
Le Comité Français pour Yad Vashem présente ses condoléances à la famille de ce Juste ainsi qu’à Joël Krolik. Que ce dernier soit remercié pour les documents qu’il a rassemblés pour permettre la rédaction de cet hommage
Article lié au Dossier 6132