Partager les Mémoires de David Korn

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Dossier n°

Partager les Mémoires de David Korn

Séparé pour toujours de sa Mère à Rivesaltes, alors que son Père était à Buchenwald, seuls des Justes l’ont sauvé…

 

David Korn (1) :

– « Mes parents habitaient rue de la Caserne à Bruxelles et mon père exerçait la profession de casquettier. Quand éclate la guerre, il est décidé de nous évacuer en France, ma mère et moi. Hélas, alors que nous avons pris le train, nous sommes arrêtés à la frontière française. Nous avons été ensuite enfermés dans deux camps successifs – dont Gurs – avant de nous retrouver derrière les barbelés de Rivesaltes. Né en avril 1936, mes souvenirs ne sont pas toujours précis quant à ce triste voyage. Il n’empêche que pendant de longues années, m’ont poursuivi des cauchemars avec des trains…
Nous sommes arrivés à Rivesaltes dans un état lamentable.Nous vivions dans des baraques insalubres, dans le froid et recevions peu de nourriture, juste assez pour ne pas crever. Les enfants allaient au refectoire, et je me souviens très bien que je cachais un peu de pain pour ma mère, dans ma culotte. »

– « La seule photo de ma mère dont je dispose, est celle prise, miraculeusement, au camp de Rivesaltes le 19 novembre 1941, et qui m’a été remise aprés la guerre, par Mme Rosenberg qui était, comme ma mère et moi, internée dans ce cloaque. Je suppose que ce cliché – dont il est pour le moins curieux qu’il puisse avoir été pris dans de telles conditions -, le fut par un Républicain espagnol. Ces derniers nous avaient précédés dans ce « camp de la honte ».

La copie de cette photo se trouve au musée de la Shoah, à Washington. Il suffit de taper sur GOOGLE : « David Korn with his mother« .

J’ai eu la chance d’être évacué de ce camp, le 25 avril 1942, et pris en charge par l’OSE (2) et les EEIF (3) puis caché, à partir de 1943, dans une famille française, à Meylan, près de Grenoble, jusqu’à la fin de guerre. 
Le déclic de mon sauvetage a été l’invasion de la Zone dite « libre » par les Allemands.
Quand les Allemands ont commencé à occuper le sud de la France, il a fallu évacuer et planquer les enfants dans des familles chrétiennes, des fermes, des orphelinats, des couvents etc… Certains ont réussi à se réfugier en Suisse, en Espagne. Mais ce n’était pas chose facile. Certains passeurs, aprés avoir reçu de l’argent, laissaient les familles dans la natures ou les dénoncaient carrément à la Gestapo. Heureusement, beaucoup ont fait preuve de courage et ont pris des risques énormes.

Tous, nous avons été drillés pendant des heures, car il fallait changer de nom, de date de naissance et certains devaient même se faire passer pour orphelins, et beaucoup l’étaient déjà sans le savoir.
J’ai reçu alors comme fausse identité celle de Daniel Chapon. On veillait alors à ce que les initiales de la nouvelle identité correspondent à celles d’origine. Donc D pour David puis pour Daniel. Par contre, difficile en Français de trouver un K comme Korn d’où le C de Chapon. »

 

Groupe d’enfants à leur départ de Rivesaltes le 24 avril 1942. Sous l’étoile : David Korn (Arch. D. K., Mont. JEA / DR.

 

– « Nous étions quinze à quitter Rivesaltes, et je m’en souviens comme si c’était hier. 
Nous sommes montés dans un camion ouvert, et ma mère me faisait des grands signes. C’était un moment pénible et j’avais l’impression d’être seul dans ce camion.

Sur la photo, je suis le troisième en partant de la gauche dans la rangée du haut, avec une petite casquette et le col de la capotte fermée jusqu’au cou.
Le cinquième, est un garçon d’origine Allemande, Bobichon (Milton Einhorn). Nous avons eu la chance d’avoir été pris en charge par les EIF et l’OSE. Que sont devenus les treize autres ? Je n’ose y penser.
Pendant le trajet qui devait me mener à Meylan, chez les gens qui avaient accepté de me cacher, la personne qui m’accompagnait, me demandait sans cesse :
Comment tu t’appelles, où est-tu né, d’où viens-tu ?
et il fallait que je réponde correctement sans hésiter.

 

En arrivant chez nos protecteurs, Monsieur André Burlon-Artaud, me demande gentiment :
Comment t’appelles-tu ?
J’étais tellement ému que d’une petite voix je lui ai répondu :
– David Korn.
Il me repose la question, car il n’avait pas entendu ma réponse, et d’une voix plus forte, je lui ai dit : – Daniel Chapon.
Souvent, en souriant il me demandait :
– Mais quel est ton nom ?
Et jamais il ne l’a su.

Ces gens étaient fantastiques avec nous, et nous considéraient comme leurs enfants. Il fallait une sacrée dose de courage pour faire ce qu’ils ont fait, car ils prenaient des risques considérables.
Je ne me souviens pas d’avoir eu faim à aucun moment.
Pour mes huit ans, j’ai reçu un cadeau d’anniversaire ; c’était un petit cheval en bois, sur des roulettes. Un cadeau à cette époque, c’était presque impensable. Chaque année depuis lors, je pense à ce cadeau!

Et puis, la libération est arrivée. La famille Burlon-Artaud est repartie à Grenoble et ils m’ont confié à la grand-mère, où je suis resté encore quelques temps. Finalement, une jeune femme est venue me rechercher et je me suis retrouvé à Moissac, chez les EIF. Nous étions en 1945. Mon père, survivant de Buchenwald, est venu me rechercher en septembre 1945, et nous sommes repartis en Belgique. C’est à cette époque que j’ai compris que ma mère ne reviendrait pas. Pour moi, la guerre n’était pas finie….Mais ceci est une autre histoire !

Je pensais souvent à ces braves gens qui m’avaient caché et protégé de la barbarie nazie. Ne connaissant que le prénom du fils et ne me souvenant plus du nom de ces gens, ni du nom de l’endroit, il m’a fallu des années de recherches.
Au mois de mars 2002, j’ai d’abord retrouvé Ralph, le garçon juif, de quatre ans mon aîné, qui était caché avec moi, et avec son aide, j’ai localisé plus de 80 « Burlon. »
Aprés plusieurs essais, je suis tombé sur un Georges Burlon-Artaud. En m’excusant de le déranger, je lui ai demandé si par hasard il ne serait pas la personne que je cherchais, et il m’a répondu :
– Tu es Daniel Chapon…
Nous pleurions tous les deux. Il nous était impossible de parler. Le lendemain, un peu calmé, je lui ai dit combien j’étais triste de ne pas avoir eu la chance de revoir ses parents, qui malheureusement étaient décédés. Je n’oublierai jamais sa réponse :
– David, mes parents nous disaient toujours, « Ont-ils retrouvré leurs parents? ».

Le 10 avril 2005, Le Comité Français pour Yad Vashem a organisé une cérémonie en hommage à nos sauveurs : André et Angèle Burlon-Artaud. Les médailles et diplômes de « Justes parmi les Nations » leurs ont été décernés, malheureusement à titre posthume.
Ralph et moi, nous considérons Georges Burlon-Artaud comme un frère ! »

 

Photo prise en 1944 à Meylan. A gauche : Ralph Meier(Robert Manier). Au milieu : David Korn(Daniel Chapon). A droite : Georges Burlon-Artaud, le fils des Justes chez qui nous étions cachés. (Arch. D. Korn, DR).

 

– « Aprés des années de recherches, Bobichon et moi, nous nous sommes retrouvés l’année dernière, et il est venu des USA. Nous nous sommes ainsi retrouvés aprés plus de soixante trois ans. Nous sommes partis avec quelques anciens, faire un pélerinage à Moissac. Ce furent des moments trés intenses.

Sa mère et la mienne ont été déportées le 11 septembre 1942 (4), dans le même convoi, le n°31, et gazées à l’arrivée à Auschwitz, le 13 septembre 1942. »

 

 

Même site à côté de la maison des Justes André et Angèle Burlon-Artaud. Mais en 2002. Toujours à gauche : Ralph Meier(Robert Manier). Au centre : David Korn (Daniel Chapon) et à gauche : Georges Burlon-Artaud.

 

Notes : 
(1) Plus particulièrement dans le contexte de la Shoah, les historiens ne retrouvent comme traces des vies massacrées que des fiches, des papiers pelures, des formulaires de diverses administrations, des registres, parfois des courriers, plus rarement encore des photos.
Aussi la moindre rencontre, chaque écoute, tout travail de mémoire avec des rescapés représentent-ils des moments comment dire ? De… « grâce », si les lecteurs le comprennent. Et souvent ces moments se prolongent-ils, s’intensifient-ils…
A titre personnel et pour ne citer que quelques noms, il y a, il y aura toujours Eva Fastag, les Grün, les Hanegbi-Praport, les Helfer, Rachel Kamienker et toute sa famille, les Koganovitsch, Rob Kremer, Jacques Lévy, les Papierbuch, les Peretz, les Reicher, Maxime Steinberg, les Szuster, Martine van Coevorden…
Et David Korn. Qu’il soit remercié pour avoir, en toute confiance, confié à ce blog quelques parcelles de ses souvenirs.

(2) L’Oeuvre de Secours aux Enfants a été créée en 1912 à St-Pétersbourg pour les juifs défavorisés. Au cours de la Seconde guerre mondiale, l’OSE est très courageusement intervenue dans des camps pour tenter d’en sortir des enfants promis à la mort. Dès 1943, cette Oeuvre organisa un réseau clandestin qui arracha à la Shoah plus de 5.000 enfants.
A la libération, l’OSE assura de par surcroît la prise en charge de plus de 2.000 orphelins de parents victimes de l’antisémitisme.
Lire : Sabine Zeitoun, L’Oeuvre de Secours aux Enfants sous l’occupation en France, Ed. L’Harmattan, Paris, 2000, 221 p. (cliquer : ICI ).

(3) Le mouvement des Eclaireuses – Eclaireurs Israélites de France remonte à 1923. En 1939, 2.500 membres se répartissaient entre Paris, l’Alsace-Lorraine, Lyon, Marseilles et l’Afrique du Nord.

(4) Citée dans la note 1, Rachel Kamienker ajoute : « La mère de Monsieur Korn était dans le même convoi que ma tante Yetti Teitelbaum-Kamienker partie aussi le 11 septembre 1942. »