Crocq se souvient de la Shoah
Plaque au nom de la Juste Marie-Thérèse Goumy (Ph. M. Getraide / Droits réservés Blog CFYV).
Inauguration à Crocq (Creuse)
d’une place Marie-Thérèse Goumy
Juste parmi les Nations
et d’une rue Louis Aron
Synthèse du dossier Yad Vashem :
– « Pierre Osowiechi est né le 3 décembre 1937 à Paris. Son père Chaïm Osowiechi s’engage dans le régiment des volontaires étrangers dès septembre 1939, il est fait prisonnier, parviendra à être libéré et rejoindra sa famille fin 1940.
Parti de Paris dans le taxi du grand-père maternel, le reste de la famille, constitué des grands-parents maternels, Moïse et Fanny Pougatch, d’un oncle, de sa mère et du petit Pierre (2 ans et demi) était arrivé à Crocq le 16 juin 1940.
Une petite maison sera mise gratuitement à la disposition de la famille, qui reçoit en plus une allocation de réfugiés.
Elle va y demeurer pendant toute l’occupation, protégée et aidée par tout le village.
Les faux papiers sont fournis pour tous par Marie-Thérèse Goumy qui est institutrice et secrétaire de mairie à Crocq. En contrepartie, la grand-mère fait des travaux de couture et les autres membres de la famille aident aux travaux des champs. Le père (dont c’est la profession) va remplacer à la boucherie du village le patron, prisonnier en Allemagne.
Le refuge israélite de Neuilly, dirigée par Louis Aron, aidé de son épouse Yvonne, est évacué à Crocq en août 1939. Marie-Thérèse Goumy lui apporte une aide précieuse.
Là sont protégées une centaine de filles juives de 5 à 20 ans et ce, jusqu’en juillet 1942 date de son déménagement à Chaumont près de Mainsat. Que ce soit à Crocq puis à Chaumont, aucun des enfants de ce refuge ne sera déporté.
A Crocq toujours, d’autres familles juives sont logées dans trois hôtels. Marie-Thérèse Goumy a pu fournir des faux papiers à certaines de ces familles et elle a empêché l’arrestation de la famille Rapoport.
Marie Lagrollière, ancienne ouvrière d’une pelleterie, personne déjà âgée et de condition modeste est venue chercher le petit Pierre Osowiechi à l’école (il était alors âgé de 6 ans et demi) en juin 1944 alors qu’une colonne de la division SS allemande qui avait pendu des résistants la veille à Tulle, s’était arrêtée à Crocq. Marie emmena Pierre dans son grenier rejoindre ses grands-parents déjà avertis par Marie-Thérèse Goumy. Ils y sont restés cachés jusqu’au départ des Allemands vers le front de Normandie.
Marie-Thérèse Goumy et Marie Lagrollière ont été reconnues Justes parmi les Nations en 2006. »
Marie-Thérèse Goumy (Doc. BCFYV / DR).
Témoignage de Pierre Osowiechi, enfant caché :
– « Il fait chaud, très chaud en ce mois de juin 1940, La France est sur les routes, c’est « l’Exode » et pour nous, Juifs descendants des Hébreux, l’Histoire, avec un grand H, recommencait. Lorsqu’une voiture surchargée s’arrêta dans la cour d’une maison de Crocq.
A l’intérieur, un couple d’une cinquantaine d’années, une jeune femme et son bébé, sont exténués et désemparés.
De la maison, sortent à leur rencontre une femme et une jeune fille, voyant l’enfant la Dame dit : » Il y a un bébé, il faut lui donner du lait ».
La voiture était le taxi de mon Grand-Père, la maison celle de la famille Pabiot, Thézy Mazuy était cette jeune fille …. et je suis cet Enfant. »
Ainsi commençait mon discours lors de la cérémonie de remise de Médailles des Justes parmi les Nations à M-T Goumy et Marie Lagrollière, le dimanche 2 avril 2006 en ces mêmes lieux, où nous nous retrouvons aujourd’hui avec, hélas, des absences douloureuses.
Pourquoi cette cérémonie et pourquoi en cette journée de Commémoration de la Déportation ? Tout simplement pour une Pérénnisation du Devoir de Mémoire, même si le Diplôme et la Médaille des Justes de M-T Goumy sont présents symboliquement dans la Salle du Conseil Municipal de Crocq, et ceci grâce à Thézy Mazuy et Jacques Longchambon , qu’ils en soient ici et publiquement, remerciés.
Mais, plus généralement que reste-il de ces cérémonies de Nomination : des médailles et diplômes conservés par les familles, un souvenir dans la mémoire des participants qui, malheureusement, est appelé à disparaitre et subira les assauts du temps et de l’oubli.
Devant ce constat, j’ai proposé à Jacques Longchambon, Maire de Crocq, de pérenniser les nominations de M-T Goumy et M. Lagrolliére en donnant le Nom de ces « Justes » à un édifice de la commune. Je dois dire que cette proposition fut tout de suite acceptée, et que Jacques y adhéra avec l’enthousiasme qu’on lui connait et qu’il su faire partager à son Conseil Municipal.
C’est ainsi que la place de la Mairie porte désormais le nom de M-T Goumy et qu’une plaque est apposée devant la maison de M. Lagrollière (…).
Je suis, nous sommes la dernière génération des témoins de cette tragique et effroyable époque et, d’ici quelques années, nos mémoires seront muettes car nos voix se seront tues .
C’est pourquoi, en inaugurant ces lieux, non seulement nous honorons M.-T. Goumy, M. Lagrollière et Louis Aron, pour leur courage devant l’oppression et le déni de l’Etre humain, mais nous portons témoignage du Devoir de Mémoire, afin que les générations futures soient averties du danger de l’intolérance, du racisme, de l’antisémitisme et du négationisme, pour qu’elles restent vigilantes, car, et nous le constatons tous les jours, il ne suffit pas de dire :
» Plus jamais ça » (…).
« Aujourd’hui, je ne sais toujours pas, et je ne le saurai jamais, pourquoi et comment nous sommes arrivés à Crocq. Mais ce que je sais, c’est que vous nous y avez accueillis, hébergés, protégés et que nous y étions libres et en sécurité.
Pour tout cela nous vous devons, mes petits enfants, mes enfants et moi, une immense gratitude que je ne peux traduire au nom de tous les miens, mais aussi de tous ceux qui sont passés et ont vécus à Crocq, que par un simple Merci. »
C’est par ses phrases que se concluait, il y a 4 ans, mon discours. Aujourd’hui je les redis avec force et reconnaissance, mais surtout avec le bonheur d’être parmi vous.
Avec votre permission je dédie également cette cérémonie à la mémoire de mon épouse Jeanine, qui a beaucoup oeuvré à sa réalisation mais qui, malheureusement, nous a quittés prématurément. »
Inauguration de la place Marie-Thérèse Goumy, discours du Maire de Crocq (Ph. M. Getraide / DR Blog CFYV).
Jacques Longchambon, Maire :
– « …Sur notre registre communal, combien de nationalités ont fait halte à Crocq (Silésie, Espagne, Pologne, Russie, Italie, Roumanie, Hongrie, Belgique, Allemangne) ?
Combien de fermes ont accueilli celui qui venait d’ailleurs avec tous les dangers des représailles ? Combien de gens de Crocq ont aidé, pour la cause commune, l’homme, l’homme dans toute sa grandeur, son humanisme ?
(…)
Je me devais, avec l’aide de beaucoup d’entre vous, de réaliser cette journée du souvenir. Ce génocide indélébile de millions d’hommes, de femmes, d’enfats et de vieillards, apogée de la bête humaine, du nazisme. Restons toujours vigilants. »
La rue de Crocq qui porte désormais le nom de Louis Aron (Ph. M. Getraide / DR Blog CFYV).
Levana Frenk, historienne :
– « …Une grande partie des juifs repliés dans la Creuse s’y réfugient dans le sillon des maisons d’enfants.
D’abord, il y a les 4 maisons d’enfants juifs situées dans la Creuse elle-même, dont la Maison de Refuge israélite pour l’Enfance de Neuilly repliée à Crocq pendant trois ans, sous la direction de Louis Aron. Ces 4 maisons accueillent par roulement autour d’un millier d’enfants.
Le Limousin d’ailleurs est une terre de refuge privilégiée puisque la région, à elle seule, abrite 9 homes d’enfants juifs, et avec celle de Brout-Vernet située à la limite de la Creuse et de l’Allier, le total s’élève ainsi à 10 maisons d’enfants juifs concentrées dans le Limousin sur un périmètre relativement réduit. Ce sont dix maisons sur les 18 que l’OSE gère dans toute la France.
Donc, il y a dans le Limousin une grande concentration de maisons d’enfants juifs, avec toutes les implications que cela pouvait avoir si les autorités s’étaient acharnées à arrêter les enfants (…).
Certains parents viennent s’installer à proximité des homes pour garder le contact avec les enfants mais surtout pour fuir la zone Nord et les grandes villes plus surveillées. Ils sont parfois suivis par des proches et aussi des proches du personnel des maisons. Ce mouvement entraîne, autour des maisons d’enfants, la formation de petites poches de refuge où se replient de nombreux juifs. C’est sûrement le cas au Grand-Bourg et à Bénevent-l’Abbaye à proximité de Chabannes, et aussi à Crocq et à Mainsat (…).
Les Juifs réfugiés dans la Creuse y subissent les poursuites administratives imposées par le pouvoir central de Vichy. Ils sont soumis à une surveillance serrée. Ces poursuites mènent à l’arrestation et à la déportation d’un grand nombre d’entre eux. Pourtant ce nombre reste inférieur à 200 déportés, ce qui représente moins de 10% de la totalité des juifs réfugiés dans le département, qui s’élève à 3000 personnes.
Mais le journal de Louis Aron mentionne surtout les écarts et bientôt le divorce total qui s’instaurent entre la législation anti-juive du pouvoir central et les réalités sur le terrain où la discrimination raciale se heurte à une certaine imperméabilité. L’antisémitisme officiel passe mal. Le journal de Louis Aron nous a laissé un témoignage précieux et très riche d’informations sur l’évolution de l’opinion publique à l’égard des juifs et sur la vie du Refuge à Crocq, à Mainsat, à la Serre-Bussière et Chaumont. Il y décrit l’accueil chaleureux que les habitants de Crocq font aux enfants du Refuge, la courtoisie que les gens manifestent à leur égard, Son journal relate le dévouement de la population locale qui assure le ravitaillement et les besoins matériels du Refuge. Il en va de même pour les soins médicaux aux enfants, leur insertion à l’école, l’emploi pour certaines des filles (…).
Le Refuge y a survécu jusqu’à la Libération, sans subir d’arrestations, contrairement à ce qui s’est passé à Izieu.
La différence avec Izieu est sans doute liée à la protection que les Creusois apportèrent aux enfants juifs. La tradition républicaine du pays, l’expérience des « maçons de la Creuse » et l’opposition à l’occupation allemande et à la guerre en général ont créé comme une ceinture de sécurité autour des Juifs persécutés qui ont en majorité survécu dans ce pays hospitalier. »
Fleurs déposées devant la plaque rappelant qu’ici, à Crocq, l’Oeuvre de Secours aux Enfants ne connut aucune dénonciation et reçut au contraire un soutien indéfectible (Ph. M. Getraide / DR Blog CFYV).
Le 25 avril 2010, Shlomo Morgan, Ministre à l’information à l’Ambassade d’Israël en France eut à voeur de saluer lui aussi la mémoire des Justes de Crocq et celle de Louis Aron, symbolisant le Refuge.
Shlomo Morgan :
– » Il y a deux semaines Israël célébrait « Yom a shoah » journée qui commémore les 6 millions de Juifs disparus dans les camps Nazis.
Aujourd’hui, en France, c’est le jour de la Commémoration de la Déportation et il est hautement symbolique de nous trouver, ici, à Crocq en Creuse, département où de nombreux juifs trouvèrent refuge durant la guerre et furent sauvés par l’héroïsme de ses habitants (…).
Habitants de Crocq et de la Creuse, nous sommes convaincus que vos ainés ont su vous transmettre ces vertus de courage et de respect de L’AUTRE et, à travers vous, nous les en remercions.
Nous remercions également Jacques Longchambon et le Conseil Municipal de Crocq de ces commémorations et de cette magnifique cérémonie.
Mais au-delà de ces remerciements, l’Etat d’Israël et son Ambassadeur en France, qui n’a pu se libérer et que je représente, vous prient de bien vouloir accepter le témoignage de leur gratitude et de leur reconnaissance. »
NB : Cette double inauguration a été organisée avec la Délégation régionale du Comité Français pour Yad Vashem. Qu’elle en soit remerciée de même que pour la collecte des documents présentés sur cette page.
Article lié au Dossier 10521