Saint-Amand Montrond honore les Justes (2)
Sommet de la stèle inaugurée le 5 mai 2010 :
– « Saint-Amand-Montrond honore les Justes parmi les Nations… »
(Ph. JEA/DR).
Témoignages de :
– Jean-Yves Laneurie, enfant caché, fils des Justes Pierre-Aimé et Juliette Laneurie,
– Danièle Weill, enfant cachée, sauvée par les Justes Roger et Pierrette Jurvillier,
– Nicole Yancey, enfant cachée, sauvée par les Justes Etienne et Marie Boissery,
– Monique Audry, enfant cachée, sauvée par la Juste Marie Paillard,
– Pierrette Jurvillier, Juste parmi les Nations.
Inaugurant la nouvelle Esplanade des Justes ainsi que la Stèle perpétuant leur mémoire, le Maire de Saint-Amand-Montrond, Thierry Pinçon, et toute la Municipalité, voulaient aussi que soient entendus des persécutés de la Shoah, alors enfants cachés et sauvés par des Justes de la région.
Ces témoignages individuels éclairaient chacun avec une approche différente mais complémentaire, une période si noire de l’histoire de France. Quand le nazisme et le vichysme s’additionnaient pour faire aboutir une « solution finale » qui visait au judéocide.
Ce sont donc des survivants à leur manière qui ont parlé à Saint-Amand-Montrond. Avec infinie pudeur. Sans haine. Avec une extrême gratitude envers ces Justes qui à contre-courant, ont voulu et réussi à empêcher la machine exterminatrice de faire disparaître quelques enfants, quelques familles dont la mort était programmée au seul motif qu’ils étaient nés juifs.
Sans se laisser aller à une inflation du vocabulaire, il peut être écrit que le 5 mai 2010, Saint-Amand-Montrond a connu des heures historiques. Ces témoignages apportèrent à celles-ci leur valeur originale : la rencontre entre le monde de juifs pourchassés et celui de citoyens Justes choisissant l’humanisme au milieu de la barbarie.
1. Jean-Yves Laneurie :
Jean-Yves Laneurie (Ph. JEA/DR).
– « Monsieur le Maire, vous avez dit, avec toute la solennité voulue, l’émotion qui est la vôtre d’être le premier magistrat d’une Ville qui honore aujourd’hui ceux de ses concitoyens qui sont Justes parmi les Nations, et, au nom de mes parents, Juliette et Pierre-Aimé LANEURIE, je vous en remercie de grand coeur.
Quelle parole désormais prononcer qui ne fût vaine ?
Peut-être ceci : aujourd’hui, il ne s’agit pas de « célébration » ni de « héros », il s’agit de « Reconnaissance » et de « Justes ».
Et ces deux mots : « Reconnaissance et Justes » valent bien qu’on s’y attarde.
LA RECONNAISSANCE, c’est à la fois la prise de conscience de l’autre et la gratitude d’un bienfait reçu…
Prendre conscience de l’autre, c’est exactement ce que les Justes de ce pays ont fait aux Juifs traqués et isolés, ils les ont reconnus comme étant des hommes… Cela paraît aujourd’hui la moindre des choses et c’était à l’époque un miracle d’humanité.
Tout le monde pouvait être l’ennemi de tout le monde et les fascistes et les collaborateurs s’étaient, comme toujours, trompés de combat : ils pensaient au confort de vivre courbés, et non pas à l’honneur de se tenir droit…
C’était un temps où la République, que vous servez avec conscience Monsieur le Maire, n’était plus « UNE » et non plus « INDIVISIBLE », où certains des plus hauts serviteurs de l’Etat laissaient se ternir les couleurs du drapeau…
C’était un temps où il n’y avait plus de Liberté, plus d’Egalité et où la Fraternité se faisait rare… Mais quand elle était exercée : quelle force, quel exemple… Et cela relevait l’honneur de toute une Nation !
Il y a eu, dans le Centre de notre France, des familles entières qui ont reçu protection mais il y a eu aussi des enfants, tous seuls, comme moi.
D’abord replié depuis Paris vers le Sud-Ouest et puis accueilli ici, à Saint-Amand, j’ai connu la chaleur d’une vraie famille qui m’a tout donné, jusqu’à son nom, et cela avec la courageuse complicité de voisins, d’amis, de l’Archiprêtre DOUCET… Qui m’a baptisé parce que c’était plus sûr.
Alors vous pensez bien : aujourd’hui me voilà à la fois, circoncis et baptisé, je suis vraiment paré de tous côtés vis-à-vis du Bon Dieu !
Merci donc à celles et ceux qui, aux côtés de mon Papa et de ma Maman, sont désormais « Justes parmi les Nations ».
Justes, cela signifie qu’ils ont fait JUSTEMENT ce qui devait être fait et QUAND cela devait être fait.
Cela signifie que, comme de bons artisans, ils ont bien fait leur métier f(Homme… Et Dieu que c’est difficile un métier d’Homme !
Il n’y a pas vraiment d’école ni d’Université pour ce métier-là.
Nous sommes tous des autodidactes du métier d’Homme.
Mes chers amis, tout ce que nous pouvons transmettre à nos enfants, c’est la chaleur de la vie, le respect de l’autre et la valeur de l’exemple.
Soyons donc tous reconnaissants à Saint-Amond et à sa Municipalité de transmettre l’exemple de ces Justes du Centre de la France, afin, comme le dit le texte du Roi David que :
« de génération en génération, l’on sache et que les enfants à naître le racontent à leurs enfants ».
2. Danièle Weill-Wolf :
François Weill porteur du témoignage de Danièle Weill-Wolf (Ph. JEA/DR).
– « Ne pouvant être avec vous lors de la cérémonie du 5 mai à Saint-Amand-Montrond, je charge François d’être, auprès de toi, chère Pierrette {Jurvillier}, l’ambassadeur de mon amitié et de ma reconnaissance réitérées.
Je sais que mes parents, souvent, se sont demandés comment un être humain pouvait se transformer en délateur, sans en éprouver du dégoût.
Il existe mille et une façons de subir la terreur : haïs par certains, abandonnés par beaucoup voire trahis par leur voisinage, comment ont-ils pu penser qu’un jour l’humanité se réveillerait ?
Une tradition juive honore du titre de Juste tout être humain qui sauvegarde la vie des faibles et des persécutés.
C’est avec le courage et la générosité de Roger {Jurvillier} d’abord, puis de toi, Pierrette, qu’ils ont puisé un début de réconfort et d’espoir. Vous les avez accueillis, avec mon frère et moi encore bébés, alors que traqués, toutes les portes s’étaient fermées.
Comme un défi à la lâcheté, vous avez opposé le visage inaltérable du courage et de la dignité humaine.
Ils vous ont chéris, Pierrette, Roger et toi. J’espère, à ma façon, perpétuer la chaîne de cette très affectueuse gratitude. »
3. Nicole Yancey :
– « Il y a quelques années, j’ai été chargée par l’Ambassade de France à Washington et la Croix Rouge Française et Suisse de procéder à une enquête pour retrouver une Résistance française qui avait opéré dans la région de Chambon-sur-Lignon.
Elle cachait des enfants juifs venus de l’Europe de l’Est par les soins de la Croix Rouge Suisse et étaient acheminés par la suite vers les Etats-Unis. Au lendemain de la guerre, elle s’est installée en Virginie, ayant suivi deux amies qui avaient épousé des militaires américains, et elle travaillait pour l’Armée du Salut.
Quand je l’ai retrouvée, elle était dans une maison de retraite à Norfolk. En l’écoutant égréner ses souvenirs, j’ai brusquement superposé sur son visage ceux de Marie et Etienne BOISSERY, et de tous ceux que j’ai connus à la Gossonière petite enfant. Très franchement, je n’avais que de vagues souvenirs de cette période, des sons et quelques images.
J’adorais Marie et Etienne BOISSERY, que j’ai toujours considérés comme mes grands-parents. Quand je me remémore mon enfance, ce sont d’abord leurs visages ainsi que ceux de leurs deux filles que je reconnais.
Je savais que ma soeur et moi leur devions notre survie; je sentais leur amour pour nous deux, mais je ne savais rien de leur sacrifice et du danger qu’ils avaient couru pour nous.
C’était un peu la conspîration du silence, personne ne parlait beaucoup de cette époque, nos parents n’abordaient que très rarement le sujet et très succinctement.
J’ai donc rencontré cette vieille dame, et j’ai suivi son récit avec grande émotion, ce fut une véritable révélation. Durant mon séjour suivant en France, je suis allée avec ma mère rendre visite à Annette BOISSERY, munie d’un petit carnet. Je les ai suppliées de parler et j’ai pris des notes tout en les écoutant raconter cette période.
Que de découvertes exceptionnelles ! Qui se sont approfondies grâce aux recherches de ma soeur Anne quand elle préparait le dossier de Yad Vashem.
Je ne trouve pas les mots pour décrire le sacrifice d’eux-mêmes pour sauver deux petites filles Juives qui leur étaient inconnues, alors que déjà, ils hébergeaient un résistant blessé ! Sans compter tous les autres, mes oncles JUDA et Tiny TESCH qui habitaient avec nous dans le domaine des Barres à Bessay-le-Fromental.
Maman disait d’elle : « elle partait des journées entières à bicyclette et personne ne demandait où elle allait. »
Cette vieille dame de Norfolk partait aussi à bicyclette, elle se disait « lingère » dans un homme d’enfants, là où les petits Juifs étaient hébergés. Où les rencontrait-elle ? Comment les amenait-elle au Chambon ? Combien d’actions aussi extraordinaires qu’héroïques ont été ainsi accomplies ? Combien de vies comme les nôtres ont-elles été sauvées ?
Cette journée de la Mémoire ne pourrait être complète si on ne nommait pas d’autres personnes qui, en association avec Marie et Etienne BOISSERY ont non seulement sauvé nos vies, mais aussi celle de notre Mère.
Elles ne doivent pas rester dans l’ombre; nous et assurément bien d’autres leur sont redevables de la vie. Ma soeur Anne et moi tenons à leur témoigner notre admiration et notre gratitude.
Permettez-moi pour cela de lire un passage de l’une des lettres de notre Maman, écrite quand ce fut son tour de fuir :
« Après une nuit tragique où nous avions eu la visite de la Milice, une vingtaine d’individus armés qui nous ont pris nos pièces d’identité, ont giflé les hommes, volé ce qu’ils ont pu.
Bien m’en a pris de m’en aller (des Barres) car le chef est revenu, a dit que l’on me cherchait, à cause de toi (notre Papa) qui avait été vu à Saint-Amand-Montrond la veille dans la Résistance (un mensonge car il était avec les Forces Françaises Libres en Afrique du Nord), et que si j’étais prise, je ne m’en tirerais pas.
J’ai vécu cachée dans une ferme trois semaines (chez Monsieur et Madame SUDRE, à côté de Valigny), puis ayant appris l’arrestation de Georges et André (JUDA), je suis allée chez Madame SOULAT qui m’a cachée dans l’un de leurs domaines (Les Allard à Augy-sur-Aubois), chez leur neveu (Aimé AVIGNON et sa femme Marie-Louise) où j’ai vécu 3 mois… »
C’est aussi grâce à Madame SOULAT que Maman a rencontré Marie BOISSERY…
Au nom de ma famille, Merci, Monsieur le Maire, de les faire vivre pour toujours dans les mémoires.
Nous vous sommes extrêmement reconnaissants de cette journée que vous avez conçue, voulue et si parfaitement organisée.
Cette esplanade des Justes est à juste titre une distinction honorifique qui perpétuera de la façon la plus solennelle le souvenir du courage et du comportement généreux de ces hommes et de ces femmes qui ont « désobéi pour sauver ».
4. Monique Bercovitz-Devillard, épouse Audry :
Monique Aubry (Ph. JEA/DR).
– « Pierrette et Roger JURVILLIER, Juliette et Pierre-Aimé LANEURIE, Marie et Etienne BOISSERY, Anne et Pierrette BOISSERY, leurs filles, Léontine et Isidore BOYAU, Henriette et Maurice FAGNOT, Louise LABUSSIERE, Hermine LASNE, Germaine VIGNE, Suzanne MERCIER et Hélène ZEMMOUR :
Justes parmi les Nations, ils honorent l’être humain dans ce qu’il a de meilleur.
Ces résistants sans armes que sont ces « Justes » (ainsi que le disait Robert MIZRAHI), aux années sombres de l’occupation nazie, ne se sont pas contentés de se taire quand il le fallait, mais ils ont pris des risques insensés, afin que ceux que le hasard avait placé sur leur chemin, ne soient pas confrontés à l’abîme du désespoir. Comment ces êtres « ordinaires » de toutes croyances et de toutes origines, ont-ils fait des choses aussi « extraordinaires » ?
Ils ont risqué leur vie au nom de simples principes humanitaires. Ils ont bravé le règne de la nuit et de la violence, simplement en entendant ce que leur dictait très fermement leur conscience.
En ce qui me concerne, je dois la vie à l’une d’entre elles, qui vécut son extrême générosité de façon si normale, qu’il fallut du temps à la « gamine » que j’étais, pour comprendre la grandeur de sa protection et de l’amour dont j’avais besoin, et qu’elle ne manqua pas de me témoigner, année après année.
Je suis reconnaissante aujourd’hui, à l’hommage qui, à Saint-Amand-Montrond, est rendu à toutes celles et à tous ceux qui ont incarné avec dignité et discrétion, les valeurs qui fondent la Nation et la République.
Les Sauveurs sont quelques milliers. Beaucoup restent inconnus.
Les femmes et les hommes d’aujourd’hui doivent s’en souvenir.
Nous devons donner aux « Justes » la place qui leur revient dans la mémoire collective des Français. »
5. Pierrette Jurvillier, Juste parmi les Nations :
A g. : Antoine, petit-fils de Robert et de Colette Wolf. A dr. : la fille de Pierrette Jurvillier (Ph. JEA / DR).
Le témoignage de Pierrette Jurvillier, dernière Juste encore en vie dans la région, a été publié (avec son portrait) sur ce Site.. Ce témoignage a été résumé devant un public très fourni, par sa fille.
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